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enclaves qui en étaient séparées. En vertu de la même règle, toutes les places fortes dans lesquelles la Hollande tenait garnison depuis le traité d’Utrecht, et qu’elle considérait comme une barrière indispensable pour sa défense, devaient également être remises dans l’état où elles avaient été trouvées, y compris les munitions de guerre et de bouche dont elles étaient garnies au moment de l’occupation. Dure condition, on en conviendra, pour des vainqueurs. Mais ce n’était rien auprès d’une autre conséquence du même principe, qui parut tellement pénible et même exorbitante qu’on n’osa pas l’articuler sans ménagement : je veux parler de cette condition vraiment humiliante du même traité d’Utrecht, qui condamnait la cité française de Dunkerque à rester éternellement dans un état de désarmement et d’impuissance. Pour ne pas rétablir expressément cette odieuse précaution de la jalousie britannique, on s’en tira par une distinction : tous les travaux du port qui pouvaient porter ombrage à la marine anglaise durent être détruits ; mais on consentait à faire grâce aux fortifications élevées du côté de la terre qui pouvaient servir à clore ce coin de la frontière resté jusque-là découvert.

C’était là tout ce que la France demandait et obtenait pour elle-même. Pour tant de sang répandu et de gloire acquise, on conviendra que c’était peu de chose. Plus exigeante pour ses alliés, elle réussissait à leur faire promettre un meilleur traitement : à l’électeur palatin, qui nous avait tenu si fidèle compagnie quand son puissant collègue Frédéric s’éloignait de nous, elle faisait attribuer, en récompense de son dévoûment, la Gueldre autrichienne et le Limbourg. Pour le duc de Modène, elle obtenait la réintégration dans son petit État. Mais le plus favorisé devait être don Philippe, puisqu’il était convenu que tout devait lui être sacrifié. Après bien des difficultés et des hésitations, les Hollandais se chargèrent de réclamer pour lui un lot vraiment magnifique, le grand-duché de Toscane. Il n’était nullement certain ni qu’on pût le lui faire attribuer, ni que lui-même s’en contentât <[1].

La singularité, en effet, de cet arrangement fait ainsi à huis clos

  1. Journal de d’Argenson, t. IV, p. 341-342. — Histoire de la diplomatie autrichienne pendant la guerre de la succession d’Autriche, p. 111-116 et appendice 184 et 186. — Parmi les conditions proposées par la France et acceptées provisoirement par les négociateurs hollandais, il en est une que je ne mentionne pas, parce que, retirée tout de suite par les États-généraux, elle ne devait plus reparaître dans la suite des négociations : ce fut l’idée d’une convention internationale qui rassurerait aux Pays-Bas autrichiens les avantages en leur imposant les devoirs de la neutralité. La Hollande aurait été ainsi garantie contre les attaques de la France et la frontière septentrionale française contre les attaques de l’Autriche. Cette combinaison très préférable à celle de la Barrière, établie, par le traité d’Utrecht, a été réalisée de nos jours en faveur du royaume de Belgique au moment de la création de ce petit état.