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querelle à mort avec la personne du roi George et ne permettait pas même d’entrer en pourparlers avec ses ministres[1]. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il se remit tout de suite à l’œuvre, de concert avec Wassenaer, pour ramener à des proportions plus modestes et à des termes acceptables le projet arrogant présenté par cet agent et dont la première lecture avait soulevé, dans le conseil de Louis XV, une réprobation unanime.

Fut-ce par lui, fut-ce à ce moment et pour masquer cette retraite que fut suggérée à Louis XV cette formule déclamatoire dont Voltaire lui a fait plus tard un compliment peut-être ironique : « Le roi de France veut faire la guerre en roi et non pas en marchand ; il ne demande rien pour lui-même : il ne prend la cause que de ses cliens et de ses protégés ? » C’est possible, et ce ne serait pas la seule fois que, même en diplomatie, l’emphase de la forme aurait été appelée en aide pour couvrir la pauvreté du fond. Quoi qu’il en soit, Wassenaer, qui faisait moins de phrases et plus de besogne, trouva bientôt l’affaire assez avancée et peut-être assez voisine d’une conclusion possible pour demander à sa cour de lui adjoindre un auxiliaire qui partageât sa responsabilité. Les États généraux firent choix du pensionnaire Gillis, un des premiers personnages de l’État. La Hollande se trouva ainsi représentée à Versailles par trois agens, l’ambassadeur ordinaire, le bon Van Hoey, avec qui on ne comptait guère, mais qui n’en parlait pas moins haut, et deux à titre extraordinaire. On eût dit un petit congrès. Pour un faible état naguère aux abois, c’était avoir acquis en peu de temps autant d’honneur que d’importance.

Le résultat de ces conférences, où le ministre avait affaire à de si habiles interlocuteurs, fut la confection d’un projet en vingt-deux articles, dont les termes, légèrement modifiés à l’avantage de la France, ne s’écartaient pourtant pas essentiellement des bases du projet hollandais. Encore, à plusieurs reprises, le rédacteur du nouveau projet, l’abbé de La Ville, naguère ministre en Hollande et qu’on avait appelé pour tenir la plume, eut-il à intervenir pour repousser des conditions que son chef eût peut-être admises, mais qu’il jugeait, dit-il, de nature à révolter l’honneur et la conscience du roi. Le principe du rétablissement du statu quo ante bellum fut expressément maintenu. Par suite, restitution par la France de toute la Flandre autrichienne, et par l’Angleterre de tous les points occupés en Amérique. Tout au plus la France dut-elle être admise à garder deux petites villes du Hainaut sans importance (Beaumont et Chimay), nécessaires pour relier au territoire français des

  1. Avant la bataille perdue à Culloden, dit en propres termes d’Argenson dans ses Mémoires (t. IV, p. 341), la paix n’était pas faisable.