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ne s’était agi, suivant lui, que de conclure un armistice pour sauver la ville d’Alexandrie, menacée d’une chute imminente. Quant au fond même de la transaction et au projet de partage des états autrichiens (qui avait été un instant accordé et convenu), il n’y fit qu’une légère et très vague allusion. « Quelques points, disait-il, avaient bien été un instant mis en avant qui semblaient satisfaire l’agent français, mais, tout étant resté subordonné à la condition préliminaire de la suspension d’armes, sur laquelle on n’avait pu s’accorder, l’affaire était rompue, l’envoyé français était reparti ; et il n’y avait plus qu’à se mettre en campagne, ce qui allait être fait ce jour-là même. Le roi, ajouta-t-il, m’a donné ordre de vous faire part de tout ceci pour faire connaître la droiture de ses intentions. »

L’attitude des deux agens en recevant cette communication fut nécessairement assez différente. Pour le ministre anglais, qui savait tout, à qui on n’avait laissé ignorer aucun des incidens de la négociation, il eut peine (il en convient lui-même) à affecter la surprise ; il ne répondit que peu de mots, admirant en vérité, ajoute-t-il, l’art avec lequel le ministre avait su faire le silence sur les points délicats. Quant au ministre autrichien, il resta matériellement atterré, ce qui lui donna une apparence de calme dont son collègue resta étonné. Mais l’entretien fini et la porte fermée, il reprit ses sens, et de la stupeur passa à la plus vive irritation. Jamais, s’écriait-il, on n’avait vu conduite si perfide et si indécente. Qu’était-ce donc que ces points sur lesquels on n’avait pu se mettre d’accord, un instant, à la satisfaction de la France ? Il n’était pas difficile de les deviner. Il vaudrait cependant la peine de les tirer au clair, et de concert avec le prince Lichtenstein (à qui son aide-de-camp venait aussi de tout raconter) il allait demander une audience au roi où il le forcerait bien de s’expliquer. L’Anglais laissa passer ce flot de colère avec le sang-froid britannique, sans mot dire, jusqu’à ce que la fatigue vint y mettre un terme (I let him go this way for some time and till he seem tired). Prenant alors la parole, avec calme, il lui fit remarquer que sans doute une audience du roi serait très utile pour obtenir de lui la promesse formelle que tout était fini avec la France et qu’aucun pour-parler ne serait repris, mais que, quant à revenir sur le passé et à lui poser des questions qui l’embarrasseraient, de deux choses l’une, ou il n’y répondrait pas, ou les réponses qu’il ferait n’inspireraient aucune confiance.

« J’ajoutai, dit-il, que nous devions regarder la découverte que nous venions de faire comme des plus heureuses pour nos intérêts communs, puisque ce qui venait d’arriver à M. de Maillebois ne pouvait que creuser un fossé profond (widen the breach) entre Sa