Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les passe-ports l’attendaient bien, en effet, mais avec une lettre de Champeaux qui en renfermait une autre de Gorzegue, très polie, très empressée même, se terminant pourtant par cette question nettement posée : le comte était-il, oui ou non, en mesure de publier l’armistice dès son arrivée à Turin ? Si oui, qu’il arrivât au plus tôt, si non, qu’il voulût bien s’arrêter et attendre qu’on vînt le trouver sur le territoire français, parce que sa présence dans la capitale ne pourrait être ignorée des cabinets anglais et autrichien, déjà très inquiets des bruits qui circulaient, et placerait ainsi le roi de Sardaigne dans la position la plus fausse vis-à-vis de ses alliés.

Le motif allégué pour une interrogation si pressante n’était pas absolument un prétexte. Il est certain que le voyage du duc d’Huescar avait donné partout l’éveil. Une démarche si publique, et dont le but n’était plus un mystère, ne pouvait manquer d’avoir un grand écho à Vienne et à Londres. La nouvelle de la défection du roi de Sardaigne était répandue dans toutes les chancelleries et tous les cafés d’Europe. Le moins que pouvaient faire les deux cours menacées de cet abandon était de mettre le cabinet de Turin en demeure de démentir ces soupçons en donnant quelque gage incontestable de sa fidélité, et le plus éclatant était, certainement, la reprise immédiate des hostilités. C’est aussi ce qu’était venu demander le prince de Lichtenstein, venu de sa personne de Novare à Turin, pour chercher des ordres et s’étonnant déjà tout haut qu’on les lui fit encore attendre. En un mot, l’instant critique était arrivé (à la date même qu’avait prévue, avec une si grande justesse de coup d’œil, le cabinet de Turin), où, la dissimulation n’étant plus possible, il faudrait faire publiquement son choix entre les deux alliances.

Le comte de Maillebois n’était pas en mesure de s’expliquer aussi nettement qu’on le sommait de le faire. Il se borna donc à répondre que les modifications qu’il demanderait à la convention d’armistice étaient légères et qu’elles ne donneraient lieu à aucune difficulté, et passant outre sans délai, il arrivait le 3 mars à Rivoli, à dix lieues de Turin. Là, nouvelle lettre de Gorzegue le sommant de ne pas faire un pas de plus sans articuler positivement ses réserves : il fallut bien se décider à les mettre par écrit poulies faire connaître. Et le lendemain, Maillebois voyait entrer chez lui Champeaux lui-même, accompagné d’un personnage qui n’était autre que le ministre de la guerre, le comte Bogino, lequel lui déclara avec beaucoup de hauteur, et sans vouloir accepter aucun débat, qu’aucune condition nouvelle d’un genre quelconque ne serait admise. Très ému de se voir acculé ainsi, du premier coup,