Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/715

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conséquences qu’elle peut avoir. Sans doute, le Portugal s’est soumis, puisqu’il ne pouvait pas faire autrement, puisqu’il ne pouvait pas s’exposer à l’exécution sommaire dont il était menacé ! L’Angleterre, cependant, ne peut se faire l’illusion que tout soit fini par un ultimatum. Elle ne peut pas éviter que la question ne touche d’autres puissances, qu’elle ne soulève des difficultés multiples, qu’il n’y ait une convention de Berlin à laquelle elle a souscrit elle-même, dont elle ne peut décliner l’autorité sans avouer qu’elle ne reconnaît que le droit de la force. Bon gré, mal gré, cette affaire a pris un certain caractère général par le retentissement qu’elle a eu déjà un peu partout, par les inquiétudes et les défiances qu’elle réveille, par les protestations qu’elle suscite contre un si évident abus de prépotence. On ne voit pas bien, en vérité, quel avantage l’Angleterre aura trouvé à cette démonstration démesurée de puissance. Elle s’est créé peut-être des difficultés qu’elle rencontrera un jour ou l’autre dans ces affaires d’Afrique, où elle n’est plus seule, où elle a désormais à compter avec l’Allemagne. Elle n’a sûrement rien gagné pour son influence morale en Europe. Elle n’a réussi, d’un autre côté, qu’à provoquer, dans le petit pays qu’elle a violenté, dans ce malheureux Portugal, une véritable crise, une explosion de sentiment national dont le premier effet a été la chute d’un ministère.

Ce n’est pas que le cabinet dont M. Barros-Gomes était un des principaux membres comme ministre des affaires étrangères ait manqué de fermeté, de modération ou de prévoyance, dans sa diplomatie, dans sa défense des droits du Portugal. Il a été la victime de l’ultimatum anglais qu’il n’a pas pu détourner et qu’il a dû subir ! Il a été obligé de s’effacer, de céder la place à un ministère qui s’est formé aussitôt, dont le chef est M. de Serpa-Pimentel. Au point de vue intérieur, c’est un cabinet de conservateurs-libéraux succédant à un cabinet de progressistes ; au point de vue extérieur, la politique est à peu près la même. Le nouveau cabinet du roi Carlos Ier ne peut avoir d’autre programme que d’atténuer, s’il le peut, le conflit avec l’Angleterre, en sauvegardant de son mieux la dignité du pays et en réservant l’appel à l’arbitrage prévu par la convention de Berlin ; mais ce qu’il y a de plus grave, c’est l’état moral que ces événemens ont créé dans ce petit pays portugais. A l’acte de force de l’Angleterre, la population a répondu par une explosion de ressentiment public. A peine la sommation de lord Salisbury a-t-elle été connue, l’irritation populaire s’est déchaînée et s’est portée à des excès contre la légation britannique. A Lisbonne, à Porto, dans d’autres villes, les manifestations se sont multipliées. Bien mieux : il se produit depuis quelques jours dans le monde des affaires et du négoce un mouvement singulier. On ne parle de rien moins que de congédier tous les employés anglais, de mettre en interdit les marchandises anglaises, les monnaies anglaises, de supprimer toute relation avec l’Angleterre commerçante.