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qu’il y a de réussir dans ces clowneries n’en ait pas détourné depuis déjà longtemps un comédien de l’expérience et de la valeur de M. Coquelin cadet.

Quant à Mlle Céline Montaland, — dans le rôle d’une dame d’Arsy, dont j’ai très bien pu me passer de parler jusqu’ici, — j’aime mieux n’en rien dire que d’employer les mots qu’il faudrait pour caractériser la manière dont elle l’a joué : ils seraient trop vifs, plus vifs que l’occasion ne les exige, et capables, en vérité, du me faire plus de peine encore, mais surtout au lecteur, qu’à Mlle Montaland elle-même.

Pourquoi ne puis-je m’associer aux éloges dont je vois que l’on a partout comblé M. Worms ? Si M. Coquelin cadet n’hésite pas, comme je le disais, à se faire applaudir par des effets moins dignes de la Comédie-Française que des Variétés, j’avais déjà trouvé, dans la Bûcheronne, où M. Worms jouait le rôle d’un braconnier, qu’il se faisait applaudir par des effets de mélodrame, plus dignes, eux, de l’Ambigu comique ou de la Porte-St-Martin que du Théâtre-Français. C’est qu’un jeu mélodramatique n’est pas seulement, comme on a l’air de le croire, un jeu tout en dehors, tout en grands bras et en éclats de voix, un jeu romantique et farouche. Mais c’est encore un jeu, même réglé, sobre et contenu, comme est celui de M. Worms, quand cette sobriété se nuance d’intentions ténébreuses ; et si l’on ne peut paraître sous les haillons d’un braconnier ou sous l’uniforme d’un garde-chasse, sans emprunter les attitudes, les inflexions, et les regards d’un vaincu du sort et de la vie. Jouer en dehors, ou jouer en dessous, c’est toujours jouer faux. Ce François n’est pas si tragique, en dépit d’une ou deux phrases que M. Meilhac lui a mises dans la bouche ; et M. Worms l’aurait bien mieux joué s’il l’eût joué avec un peu plus de franchise, de naturel et de simplicité.

J’ai gardé pour la fin M. Febvre et Mlle Reichenberg : ils sont à eux deux presque toute la pièce ; et, dans des rôles d’ailleurs inégalement difficiles à composer, — c’est celui de Boisvillette, bien entendu, qui est le moins difficile, — j’ai plaisir à dire que la perfection de leur jeu n’a d’égale que leur aisance. Que faut-il davantage ? Ce qu’il y a d’intentions multiples et complexes dans le personnage de Margot, Mlle Reichenberg les a démêlées et rendues avec une sûreté merveilleuse, avec finesse, avec esprit, avec bonne humeur. Mais pour M. Febvre, et si j’étais bien sûr qu’il n’y entendit pas malice, je ne saurais lui faire de plus sincère compliment que de lui dire qu’il joue beaucoup mieux qu’il n’écrit. Vous verrez cependant qu’il n’en sera qu’à moitié satisfait.