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Boisvillette est un peu au-dessus des espérances que Margot pouvait former. En épousant M. de Boisvillette, elle aurait donc l’air, vis-à-vis du monde et d’elle-même, d’avoir fait une spéculation plus habile qu’aucune de celles de Mlle Carline, sa marraine, ou de Mlle Adèle. Elle serait devenue la femme d’un homme dont elle n’aurait été que la maîtresse d’un jour, s’il ne lui avait pas rendu d’abord un grand service, et qu’avant de l’aimer d’amour il n’eût pas pris vis-à-vis d’elle le rôle d’une sorte de père. Je comprends son scrupule, et il l’honore, Elle eût, sans doute, épousé le neveu de M. de Boisvillette, parce qu’il est jeune, parce qu’elle l’aime, et parce que, comme nous le voyons tous les jours, une fille comme elle, quand la jeunesse et l’amour s’en mêlent, peut prétendre à tous les mariages. Mais elle n’épouse pas M. de Boisvillette, parce qu’elle ne l’aime pas, et qu’en l’épousant sans l’aimer, elle récompenserait les bienfaits qu’elle tient de lui par une ingratitude qui irait, comme elle le dit d’un mot un peu vif, ou même trop cru, jusqu’à l’infidélité. S’il avait encore un peu plus développé ces sentimens, M. Meilhac aura-t-il craint peut-être qu’on ne l’accusât de sentimentalisme ou de psychologie ? Je le regrette ; car je donnerais pour ces deux scènes, si toutefois elles étaient un peu plus largement traitées, et que le dialogue n’en fût pas à chaque instant coupé de drôleries « parisiennes, » la scène de la leçon d’histoire, qui est presque de l’opérette, et celle de la lecture de Musset, qui ne sert qu’à ralentir une action déjà bien traînante.

Je n’ai plus qu’à dire quelques mots de l’interprétation.

Il est de mode aujourd’hui, quand on parle du Théâtre-Français, de rendre ou de donner aux comédiens tout ce que l’on est quelquefois obligé de disputer aux auteurs : et, même lorsqu’ils jouent assez mal, on est convenu d’admirer la correction, la noblesse, ou la solennité qu’ils y mettent. Pour nous donner à peu de frais la réputation d’un amateur délicat et sévère, nous n’aurons donc qu’à dire franchement de l’interprétation de Margot ce qu’il nous a paru que tout le monde autour de nous en pensait.

Ne parlons point de Mlle Nancy Martel, de Mlle Rachel Boyer, de Mlle Fayolle, de Mlle Bertiny, de M. Le Bargy, de M. Gravollet. Leurs rôles n’existent pas : et, en passant, n’est-ce pas une chose assez singulière, assez significative même, que, sans compter les domestiques, on se mette à onze pour jouer une pièce qui ne comporte que deux rôles en tout ? Félicitons-les seulement de n’avoir pas essayé d’en tirer les effets que M. Coquelin cadet a voulu, lui, tirer du sien, et qui sont plus dignes de la scène des Variétés ou du Palais-Royal que de celle du Théâtre-Français. La belle affaire, que de nous faire rire de la coupe d’un pardessus ou de la forme d’un chapeau ! Le moindre clown en ferait bien autant : et je m’étonne que la déplorable facilité