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REVUE LITTERAIRE

LA FOLIE DE J.-J. ROUSSEAU

J. -J. Rousseau’s Krankheitsgeschichte, von P.-J. Mobius. Leipzig, 1889 ; Vogel.

Que Rousseau soit mort fou, ce qui s’appelle fou, personne aujourd’hui ne l’ignore ni n’en doute, et on ne discute guère que du nom, du progrès et de l’origine de sa folie. Quomodo cecidisti de cœlo, Lucifer ? Comment ce poète, car c’en fut un, que l’homme qui a rouvert en France les sources longtemps fermées du lyrisme ; comment cet orateur, je ne veux pas dire le plus grand, ni surtout le plus noble, mais assurément le plus puissant qu’il y eût eu, depuis Bossuet, dans la langue française ; comment enfin ce dialecticien retors, et non moins passionné que retors, est-il devenu le lypémaniaque des Confessions, des Dialogues, des Rêveries du promeneur solitaire ? Mais l’est-il devenu ? ne l’a-t-il pas toujours été peut-être ? et, puisqu’il entre bien des poisons dans la composition des remèdes, ne serait-ce pas sa folie même qui ferait une part de l’originalité de la Nouvelle Héloïse, de l’Emile, du Contrat social ? ou, s’il est devenu fou, quand et pourquoi l’est-il devenu ? sous l’influence de quelles causes ? à quel moment précis de son histoire ? et nous tous qui procédons de lui, puisque le roman contemporain était déjà tout entier dans la Nouvelle Héloïse, toute la poésie de la nature dans les Confessions et dans les Rêveries ; nous, qui