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Des lis divins que j’ai cueillis
Dans le jardin de ta pensée,
Où donc les vents l’ont-ils chassée,
Cette âme adorable des lis ?

N’est-il plus un parfum qui reste
De la suavité céleste
Des jours où tu m’enveloppais
D’une vapeur surnaturelle,
Faite d’espoir, d’amour fidèle,
De béatitude et de paix ?


Nous voilà bien loin, je vous assure, des petits poèmes d’Andersen ou autres, même des plus poétiques ; plus loin encore de la musique, fût-ce la plus rêveuse, qu’ils ont inspirée à M. Grieg. Rien d’aussi ténu, d’aussi subtil, et, comme on dit, de moins fait que cette mélodie de M. Widor. Sur des accords à peine appuyés, la voix pose d’abord quelques notes errantes ; au début de la seconde strophe, quelques arpèges d’accompagnement plus sonores, puis les deux derniers vers murmurés tout bas, et, au piano, un épilogue de trois ou quatre mesures pathétiques, à la Schumann. Ce n’est rien, mais, dans le genre, c’est un petit chef-d’œuvre. Il s’exhale de cette page un charme indéfinissable, mais pénétrant, pareil à un parfum, à cette âme impalpable des lis, que la musique, impalpable aussi, nous fait vraiment respirer. L’impression est vague sans doute et peut-être un peu maladive, mais délicieusement douce, et, par la mélodie des quatre premiers vers surtout, mystérieuse et mélancolique, la mémoire demeure longtemps caressée.

Le recueil de M. Widor offre bien d’autres détails exquis : par exemple, le second lied, le dernier surtout, et le début du sixième, intitulé : le Soir et la Douleur. Le musicien a rendu là avec toute la délicatesse, toute la fluidité dont son art est capable, un songe de poésie aussi pâle et vaporeux que la Douleur et le Soir, qui l’ont inspiré. On pourrait reprocher à ce dialogue, car c’est un dialogue, un peu d’afféterie, de maniérisme et d’étrangeté dans le sentiment ou l’expression, s’il n’y avait quelque pédantisme à le faire, et quelque imprudence à regarder de trop près d’aussi légères visions, quand le frôlement de leur aile mystérieuse est si doux. Mais ne trouvez-vous pas qu’à lire ainsi tour à tour ce que nous chantons ici et ce qu’on chante là-bas, ou plus tôt là-haut, vers le pôle, c’est nous, poètes et musiciens de France, qu’on prendrait pour les enfans de la Norvège, pour les nuageux rêveurs du Nord ?

Il est encore deux œuvres de M. Grieg dont nous tenons à dire un mot : Peer Gynt et Bergliot. Peer Gynt est une série de morceaux : préludes, entr’actes, mélodrames, écrits pour une pièce d’Ibsen, comme la partition de l’Arlésienne a été écrite pour la pièce de M. Alphonse Daudet. Ce drame d’Ibsen est une vaste et singulière composition, une