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lui-même dans une série d’articles, constituant une sorte d’ultimatum. Il y ajouta l’exigence expresse que tout fût conclu (principalement l’armistice) avant la fin du mois de février déjà en cours. Cette date était de rigueur, puisqu’à ce moment les Autrichiens seraient certainement en marche, peut-être déjà aux prises avec les Espagnols, et qu’il importait de savoir quelle attitude le roi de Sardaigne devrait prendre à leur égard[1].

Le ministre anglais eut connaissance de cette détermination comme des précédentes, et en en faisant part à sa cour, il exprimait, non sans raison, l’espérance que, tout étant de nouveau mis en question, une rupture complète pourrait s’ensuivre. La seule chose qui le surprit et qu’il ne pouvait, s’expliquer, c’était la persistance du ministre français dans le plan chimérique de confédération italienne. Il fallait que ce fût, disait-il, la conception propre et favorite du roi de France (own darling offspring), et pour s’en rendre compte, il en était réduit à imaginer que Louis XV voulait se faire empereur de la fédération d’Italie pour égaler l’époux de Marie-Thérèse, devenu empereur de la fédération germanique.

Si Champeaux, au lieu d’être tel que ses dépêches nous le montrent, un agent médiocre et vaniteux, tout ébloui du rôle inespéré qui lui était échu et ne songeant qu’à en garder l’honneur ; si, même il n’eût pas été réduit à vivre dans une cachette obscure, dont il ne sortait que de nuit, n’entretenant de communications avec personne, et n’apprenant que ce qu’on voulait bien lui dire : la fixation de ce délai, pendant lequel toute l’affaire de la négociation devait rester secrète, lui aurait ouvert les yeux sur la situation singulièrement avantageuse que le ministre piémontais réussissait par là à se ménager. Charles-Emmanuel allait ainsi avoir un mois pour se décider, suivant son humeur ou suivant les circonstances, entre les deux alliances autrichienne et française, restant libre également de rester fidèle ou de faire défection à l’une, de se rapprocher ou de demeurer éloigné de l’autre. Il gardait les deux cartes entre les mains, pouvant jouer jusqu’à la dernière heure celle qui lui présenterait le plus de chances de succès. Si la France entraînait l’Espagne à sa suite, Alexandrie était sauvée, le Piémont délivré, et l’on marchait, d’accord avec les puissantes armées des deux royautés de la maison de Bourbon, au-devant des Autrichiens pour leur barrer l’entrée de l’Italie et enlever à Marie-Thérèse une part de son patrimoine. Dans le cas contraire, le même délai d’un mois laissait aux Autrichiens le temps d’avancer ; on pouvait les

  1. Champeaux à d’Argenson, 1er février 1746. (Correspondance de Turin. — Ministère des affaires étrangères.)