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de sulfate de fer, avec lequel ils font du noir ; ils tirent le jaune du mélange de deux racines, le rouge-sang d’un sorgho non comestible, un rouge-brun d’une ocre recueillie dans le Hombori, des jaunes-bruns d’une infusion de feuilles de basi, le rouge-brique du jus de kolas, et diverses potasses leur servent de mordans. Il y a peu d’oisifs à Kong. Les riches tissent comme les pauvres. Pendant les heures de récréation, les écoliers effilochent des étoffes rouges de provenance européenne et dévident les fils qui, mélangés au coton indigène, servent à faire des dessins. Leurs sœurs vendent des fruits, des gâteaux au miel et courent les rues en criant leurs marchandises.

Si le caractère essentiel d’un pays civilisé est d’avoir une mairie centrale, c’est un avantage qui n’a pas été refusé à Kong. Il a son maire et ce maire a sous ses ordres les chefs des sept arrondissemens de la ville. Karamokho-Oulé est le chef d’état. L’iman, chef religieux, réunit dans ses mains la direction des cultes et celle de l’instruction publique, très avancée dans la région. Le capitaine Binger a pu constater que les illettrés y sont fort rares, que tout le monde y écrit l’arabe et commente le Coran. Il m’a raconté qu’il a vu des vieillards à tête blanche, qui, honteux de leur ignorance, fréquentaient l’école, sans que personne s’en étonnât.

Il m’a raconté aussi que, chaque soir, de nombreux Kongais se rassemblaient chez lui et que, poussés par une insatiable curiosité, ils lu adressaient une foule de questions sur l’Europe, sur la France, en s’&criant : « Que tu es heureux d’avoir vu tant de pays ! que tu es heureux de savoir tout ce que tu sais ! » A la vérité, le noir converti à l’islamisme n’abjure jamais entièrement ses anciennes superstitions : il mêle au Coran un peu de fétichisme, il croit à la sorcellerie, aux enchantemens, aux charmes magiques qui abrègent les longues besognes. Un soir, les curieux de Kong dirent au capitaine français : « Nous ne deviendrons jamais plus savans que nous ne le sommes, nous sommes trop vieux ; mais nous voudrions que nos enfans apprissent tout ce que tu sais. Donne-nous un philtre. » Après avoir résisté quelque temps, le capitaine, vaincu par leurs obsessions, écrivit ces mots sur une planchette : « Que Dieu vous donne toute la science que vous désirez ! » On a fait tremper la planchette dans un vase plein d’eau, et les enfans de Kong boivent cette eau, qui leur révélera tous les secrets de l’univers. Ne nous moquons pas d’eux ; nous sommes plus Africains que nous ne le pensons. Tel d’entre nous se figure qu’on régénère un peuple par des formules et croit à la puissance magique des phrases. D’autres attribuent à certaines institutions une vertu curative à laquelle rien ne résiste et considèrent le suffrage universel comme une infaillible panacée. D’autres s’imaginent qu’il suffit de donner un roi à une nation qui n’en veut plus pour mettre fin à toutes ses souffrances. Nous avons nos philtres, nos abracadabras et nos fétiches.