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d’autre bonheur que celui que peuvent procurer une stupide imprévoyance et les longs sommeils de l’esprit. Il y a assurément en Afrique de vraies tribus de sauvages et des populations tout à fait primitives. Le capitaine Binger a vu dans le Mossi des demi-troglodytes, qui par esprit d’imitation se construisent des cases, mais qui vivent dans des souterrains, où la vermine les dévore. Il a traversé le pays des Mboins, qui seraient nus comme des singes s’ils ne se coiffaient d’un chapeau conique. Leurs femmes portent un tricorne de gendarmes et ne sont vêtues que d’une touffe de paille. Pour assujettir leur enfant sur leur dos, elles remplacent le pagne par une natte ficelée au-dessus des seins à l’aide de deux cordelettes en cuir. Les plus coquettes se percent la lèvre inférieure et l’ornent d’une tige en verre bleu. Quant aux Gouroungas, leur costume est plus simple encore : il consiste en une ficelle, à laquelle pend un couteau.

Les Senoufou, qui habitent les états de Tièba, le Follona, le Tengréla, sont de tout autres gens. Ils s’entendent à cultiver la terre, à élever le bétail ; ils se connaissent en métallurgie, fabriquent des casseroles, des bouillottes en fer battu d’une seule pièce, et leur poterie n’est point méprisable. S’ils ont des coutumes un peu bizarres, si dans leurs cérémonies funèbres ils dansent autour de leurs morts pour les honorer, n’y-a-t-il pas en France plus d’un village où les enterremens sont une occasion de se griser ? Bien supérieurs encore sont les Mandés, qui tiennent le haut bout dans toute la boucle du Niger. Ce peuple, remarquable par son activité et par sa consistance. oppose une infranchissable barrière à la race pullulante et envahissante des Peuls. Il s’est emparé depuis longtemps du pays de Kong, où il s’étend de plus en plus au moyen de ses colonies agricoles, dirigées par des cadets de bonne famille ou par des captifs qui possèdent la confiance de leurs maîtres. Entre un Gourounga et un Mandé la< distance est pour le moins aussi grande, qu’entre tel montagnard albanais et un bourgeois de Londres ou de Paris.

Le capitaine Binger racontait, il y a quelques jours, à la Société de géographie commerciale, l’aventureuse et laborieuse odyssée d’un couple mandingue, qui possédant 10,000 cauris, c’est-à-dire à peu près 20 francs, achète du beurre de ce ou des couvertures, qu’il ira vendre dans l’Anno et le Bondoukou, d’où il rapportera des kolas. Quiconque a entendu ce récit n’est plus tenté de s’imaginer que tout noir est un incorrigible paresseux. Le kola, produit du sterculia acuminata, est un fruit en forme de châtaigne, dont l’Africain raffole. Il lui prête toute sorte de ventus, lui attribue la propriété de calmer la faim et la soif, le tient pour un excellent fébrifuge, pour un puissant aphrodisiaque. Le capitaine le considèrecomme un excitant, qui empêche de dormir ; mais il reconnaît que ce fruit étant amer, l’eau qu’on boit après en avoir