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vous envoyer quelqu’un pour lier des relations plus étroites avec vous. J’ai pour mission de rechercher quels sont nos produits, tissus ou armes, qui vous conviennent le mieux afin d’en informer nos fabricans à mon retour en France ; ils sauront ainsi ce qu’ils doivent vous envoyer soit par le Niger, soit par le Grand-Bassam. Mais je désire connaître également ce que nous pouvons obtenir de vous en échange de nos marchandises, et, à cet effet, si vous le voulez, je séjournerai quelques semaines parmi vous. » — « Chrétien, lui répondit le roi Karamokho-Oulé, ton parler est droit ; nous avons tous compris ce que tu viens de nous dire, je t’en remercie au nom de tout mon pays. Je suis heureux que tu aies pu prouver ton innocence ; pour mon compte, j’étais convaincu qu’un blanc ne peut faire qu’un métier honnête. Si Dieu t’a laissé traverser tant de pays, c’est qu’il l’a bien voulu ; ce n’est pas nous qui agirons contre la volonté du Tout-Puissant. »

Comme il le disait l’autre jour à la Société de géographie commerciale, le capitaine Binger a vendu de tout dans son voyage, des ombrelles, des couvertures, des aiguilles à coudre, des alênes, des hameçons, des calicots apprêtés et imprimés, qui ont eu beaucoup de succès, des boutons de livrée, des ganses, des galons, des dentelles défraîchies, des cravates, des blouses de rouliers, des écharpes, des foulards, de la quincaillerie, de la coutellerie, du papier, des aimans, des gazes, des étoffes pour arlequins, lamées en or et en argent. Façonnés par ses leçons et par son exemple, les noirs qui l’accompagnaient avaient bientôt acquis le génie du négoce. Ils se dépouillaient de leurs amulettes pour les vendre à leurs amis, à qui ils offraient aussi des cadenas sans clé. Personne ne songeait à demander à quoi ces cadenas pouvaient servir, on se laissait séduire par leur charme mystérieux, tout le monde en voulait.

Les Mandés ont eux-mêmes des hommes d’affaires fort exercés, dont il est bon de se défier. Il en est qui se servent de poids faibles, pour peser l’or en poudre qu’ils donnent en paiement et de poids forts pour peser celui qu’ils encaissent. Une autre monnaie en usage dans ces pays est le cauris, coquillage univalve, venant des mers de l’Inde, monnaie lourde, encombrante : une charge d’homme de 20,000 petits cauris représente de 32 à 40 francs. Les indigènes comptent par petits tas de cinq coquilles, et les plus habiles opèrent avec une rapidité prodigieuse, dont M. Binger s’est plus d’une fois émerveillé. Il en voulait à son ami Bafotigué, chez qui il logeait à Kong, de compter sans effort 200 tas pendant que lui-même n’en comptait que 120.

Le capitaine se souvient avec plaisir des longues heures qu’il a passées dans la compagnie des trafiquans mandés. Il se tient à Kong des marchés quotidiens où l’on trouve en abondance les objets de première nécessité, y compris la terre comestible dont se régalent les femmes enceintes. Le commerce en gros se fait dans l’intérieur