Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 97.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du 26 décembre l’avait établi ; mais le troisième (ô surprise ! ) n’était que la reproduction à peu près littérale du projet de confédération italique, deux lois proposé au cabinet piémontais et deux fois repoussé par lui avec énergie. Et pour en assurer tout de suite l’exécution et bannir sans délai tout Allemand du sol italien, on revenait à l’idée d’enlever le grand-duché de Toscane à l’époux de Marie-Thérèse. On a, en vérité, quelque peine à le croire, — à cette heure suprême, quand toutes les minutes étaient comptées et que le moindre retard remettait tout au hasard ; — d’Argenson, sous l’empire d’une préoccupation passionnée, n’avait pu se défendre de tenter, en faveur de la généreuse conception qui lui était chère, un effort vraiment désespéré[1].

La réapparition inattendue de cette exigence, dont on croyait avoir fait justice, porta au comble l’émotion de Charles-Emmanuel et de ses ministres. Leur situation, en effet, devenait de plus en plus critique. D’une part, nous dit un historien piémontais, la signature du procès-verbal du 26 décembre avait été un acte plus nécessaire qu’agréable. Les secours maintenant attendus de l’Autriche rendaient la nécessité moins pressante. Le retard du concours de l’Espagne rendait les avantages plus douteux. Et c’était dans de telles conditions que la France, loin de modérer ses demandes, y ajoutait des exigences qu’elle savait particulièrement désagréables ! C’était une prétention exorbitante, et qui ne pouvait être admise. Mais, d’un autre côté, renvoyer Champeaux avec un refus tout sec, c’était la rupture immédiate : et les auxiliaires annoncés par Marie-Thérèse n’avaient pas encore franchi les Alpes : avant d’arriver

  1. Ce fait est tellement étrange que j’ai hésité moi-même à y ajouter foi. Cependant le texte du projet de traité, inséré par d’Argenson lui-même en appendice à son journal, ne laisse à cet égard aucun doute ; il y est dit en propres termes : « Il sera signé de la part de Sa Majesté très chrétienne, de Sa Majesté catholique et de Sa Majesté le roi de Sardaigne, un traité particulier contenant les conditions de l’union et association qui sera formée entre les princes les plus considérables de l’Italie pour maintenir conjointement et de concert le repos et la tranquillité dans cette partie de l’Europe et pour empêcher qu’aucune armée étrangère puisse jamais y entrer sous quelque prétexte que ce soit. » — (Mémoires et Journal de d’Argenson, t. IV, p. 461.) — Faut-il donc penser que Champeaux, désireux de ménager d’Argenson ne l’avait pas suffisamment averti de la résistance invincible qu’il trouverait sur ce point dans le cabinet piémontais ? J’ai été un instant tenté de le supposer, d’autant plus que la note piémontaise, si catégorique, que j’ai citée plus haut, ne figure pas dans les pièces restées au ministère des affaires étrangères ; mais cette omission s’explique par le fait que Champeaux, envoyé seul, sans secrétaire, avertit lui-même qu’il ne peut donner copie de tous les documens échangés entre lui et le ministre piémontais et qu’il se borne à en analyser la substance. En tout cas, la première note remise par Montgardin, le 12 novembre à Paris, et le silence gardé dans l’acte du 26 décembre devaient avertir suffisamment de l’impossibilité de faire insérer, dans un acte tardif et dont la conclusion était urgente, une disposition de cette importance.