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Loin du peuple, il s’endort, le soir, sur la montagne,
Pour entendre chanter, entre le monde et Dieu,
Des songes que le chœur des anges accompagne
Sur des harpes d’or et de feu.

Et lui, le mendiant qui rôdait par les rues,
L’expatrié, devient un mage tout-puissant :
C’est le maître ; il commande aux formes apparues,
Il appelle et le ciel descend.

Il ordonne aux esprits de remuer la terre,
Et dicte son caprice à l’espace ébloui ;
L’immensité se fait esclave et tributaire
Du talisman qu’il porte en lui.

Il lève la main droite et parle à son armée :
— « Qu’on dresse un palais d’or incrusté de rubis,
« Et qu’on amène à moi l’unique bien-aimée,
« Dans la minute où je le dis. »

Et la voici qui passe et qui demande asile :
— « Nous nous sommes tous deux bien longtemps attendus… »
Et la voici qui vient, languissante et docile,
Dans un triomphe de vertus.

Elle n’est plus la femme au sourire frivole
Dont l’amour se reprend pour nous être plus cher :
Elle est l’idée, elle est le culte, elle est l’idole
Et le verbe qui se fait chair !

C’est son mythe tangible et l’enfant de ses larmes,
C’est son rêve vivant, c’est son cœur et son bien ;
C’est lui, c’est la Minerve auguste et tout en armes
Qui sort du front olympien !

C’est lui-même, sa chair pétrie avec son âme,
Et lorsqu’il tend ses bras, ses lèvres et son cœur,
C’est toute la beauté du monde qui se pâme
Sous les baisers d’un dieu vainqueur !