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le taux de l’or, de l’argent et des femmes ? — Quel est maintenant entre vous le prix courant de la chair humaine ? » — Quand, le 9 thermidor, on vit arriver Lavalette, Dumas et divers amis de Robespierre, on se vengea de leur mutisme obstiné en les criblant de lazzis. « Maintenant que nous avons parmi nous, disait-on, le confident intime du doge et le magistrat suprême de la république, nous pouvons nous tranquilliser. Il serait beau de voir arriver le doge lui-même ; en pareil cas, nous ne pourrions nous dispenser de lui envoyer une nombreuse députation et de lui donner une garde imposante, afin de l’escorter dans le cas où le médecin Sanson viendrait chercher Sa Majesté pour lui faire la petite opération dont il nous faisait espérer le succès. »

Le 11 thermidor, le bruit se répandit que la femme Duplaix s’était pendue pendant la nuit ; un citoyen confirma la nouvelle : « Citoyens, je vous annonce que la reine douairière vient de se porter à un excès un peu fâcheux. — Quoi donc ? qu’est-il arrivé ? interrogèrent Duplaix père et fils qui ne savaient rien. — Citoyens, reprit le mauvais plaisant ; c’est un grand jour de deuil pour la France ; nous n’avons plus de princesse. » Un épicier, nommé Cortey, qui faisait des signaux à la princesse de Monaco et lui envoyait des baisers, s’attira cette jolie mercuriale du marquis de Pons : « Il faut que vous soyez bien mal élevé, monsieur Cortey, pour vous familiariser avec une personne de ce rang-là ; il n’est pas étonnant qu’on veuille vous guillotiner avec nous, puisque vous nous traitez en égal. »

Rappeler quelques exemples de sang-froid, quelques traits de stoïcisme de ces détenus, c’est proprement instruire le procès de l’esprit de parti, et plaider la cause de la tolérance, sentiment presque divin qui introduit la grâce et la douceur dans la vie sociale, qui remplace les traditions disparues par de nouveaux cultes, le respect de l’humanité, le respect des humbles, des faibles, la religion de la souffrance. Et comment contempler sans émotion ce jeune Gosnay, qui, aimé d’une jolie personne et pouvant se sauver, refuse de lire son acte d’accusation, l’emploie à allumer sa pipe, empêche son avocat de le défendre, demande simplement au président qu’on le mène à la guillotine, et, le plus tranquillement du monde, déjeune avec ses camarades auxquels il annonce en riant qu’il va chez le restaurateur de l’autre monde leur faire préparer un bon souper ? — Lamourette qui, après avoir été condamné, soutient seul la conversation, parle avec enthousiasme de Dieu et de l’âme, va au-devant des regrets, en disant : « Qu’est-ce que la mort ? Un accident auquel il faut se préparer. Qu’est-ce que la guillotine ? Une chiquenaude sur le cou. » — Le maréchal de Mouchy