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des guichetiers. Pas d’argent, pas de lit, pas de douceurs, pas de secours. Mais comment conserver ses assignats, alors que la Commune envoie ses suppôts fouiller les détenus, enlève leurs effets d’or et d’argent, bijoux, couteaux, ciseaux, compas, canifs, miroirs, jusqu’à leurs cuillers et fourchettes qu’on remplace par des couverts de bois, alors qu’en certaines maisons on soumet les hommes et femmes à la formalité humiliante du rapiotage (qui consistait à les déshabiller) ? On leur laisse, il est vrai, cinquante livres, en promettant de tout rendre plus tard, mais on se contente d’entasser les prises dans des paquets, sans dresser d’inventaire. Ces fouilles amènent parfois des incidens assez comiques. Parisot, auteur dramatique, dit aux inquisiteurs : « Citoyens, je suis désolé, vous arrivez trop tard ; j’avais bien ici trois cents livres, mais un citoyen vous a devancés et me les a dérobées ; cependant, comme on m’a dit que vous laissiez cinquante livres et que je n’en ai que vingt-cinq, s’il vous plaisait de parfaire la somme ? — Oh ! non, citoyen. — J’entends, vous ne venez que pour prendre. Il est malheureux qu’il y ait ici des citoyens plus actifs que vous. Au surplus, en suivant la marche que vous prenez, vous n’y perdrez rien et tout rentrera dans vos mains. Vous êtes un océan auquel vont se joindre toutes les petites rivières. — Vous êtes bien honnête, repartit l’administrateur Wiltcheritz, mais ce n’est pas des complimens dont nous sommes en recherche aujourd’hui. » Quand Mme de Duras donna ses assignats, elle fit la remarque qu’on ne les comptait pas : « Nous n’avons que faire de les compter pour vaincre les ennemis de la République, répliqua un municipal. — Je le crois bien, reprit la duchesse, ce ne serait pas avec du papier qu’ils pourraient être vaincus. »

On rusait, cependant, on imaginait des cachettes, et avec du sang-froid, de l’adresse, on parvenait à préserver ce qu’on avait de plus précieux. Coittant réussit de la sorte à dissimuler sa montre, des ciseaux, un rasoir, le journal de sa captivité. Voir dépouiller complètement les détenus au profit de la Commune n’eût pas fait l’affaire des gardiens : aussi ferment-ils les yeux et suggèrent-ils au besoin le moyen de cacher ces assignats qu’ils espèrent bien extorquer en détail.

Leur rapacité était sans bornes. As-tu des sonnettes (de l’argent) ? demandent-ils au nouveau-venu. S’il répond oui, ils apportent une cuvette, un pot à eau, quelques plats fêlés qu’il paie le triple de leur valeur ; s’il a le gousset vide, il doit vendre à vil prix une partie de ses effets pour obtenir les objets strictement nécessaires. Quelques-uns se plaisent à augmenter la terreur des prévenus, leur présentent en ces termes leur acte d’accusation : « Tiens, voilà ton extrait