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« Le roi de Sardaigne, disait la lettre royale, reconnaissant sa faute, paraît venir à nous de ta meilleure grâce du monde, je conviens que c’est un peu tard ; mais que Votre Majesté pense que la reine de Hongrie, étant débarrassée du roi de Prusse, va porter toutes ses forces sur l’Italie et sur le Rhin. Sur le Rhin, je puis me défendre, mais cette défense me met dans l’impossibilité de secourir Votre Majesté en Italie, et je vois l’Italie perdue… Les liens du sang nous unissent au roi de Sardaigne : rappelons-les-lui par un nouveau traité : cimentons si bien notre alliance que ces nouveaux établissemens soient durables à jamais. » Abordant enfin comme à regret la supposition d’un relus : « Je me verrais peut-être, ajoutait Louis XV, obligé de prendre un parti que je n’ose lui dire sans frémir, mais que le bien de mes sujets, pour lors, demanderait, qui serait de songer uniquement à la défense de mon royaume pour parvenir alors au prompt soulagement des maux de la guerre,… mais j’augure trop favorablement des sentimens de Votre Majesté et de ceux de la reine pour croire qu’elles voudraient me réduire à de telles extrémités qui seraient très pénibles à mon cœur. »

D’Argenson se croyait obligé de parler avec plus de ménagement : « Il y a longtemps, monsieur, écrivait-il à Vauréal, que vous n’avez reçu une dépêche aussi importante que celle-ci et qui ait demandé, de votre part, dans l’exécution des ordres du roi plus de dextérité, de force et de sagesse. » Il l’engageait alors à représenter à la reine qu’en lui proposant d’acquérir sans combat un établissement encore considérable, sinon conforme à tout ce qu’elle avait souhaité pour son fils, on lui offrait un meilleur marché que ce qu’elle pouvait espérer de la continuation de la guerre : « Faites usage de tous vos talens et de toute votre sagesse pour traiter avec fruit une matière aussi délicate. Il ne s’agit que d’une négociation de droiture, de candeur et de vérité. Évitez tout ce qui pourrait exciter la colère et le dépit de la reine d’Espagne, et mêlez à la fermeté de vos discours toute l’onction nécessaire. Adieu, monsieur, disait enfin le ministre dans un postscriptum de sa propre main ; tâchez que ceci finisse sans mal ni douleur,.. surtout que cela se décide,.. l’ennemi est aux portes,.. il s’agit du ciel ou des enfers,.. peut-on hésiter et finasser[1] ? »

Vauréal, en se rendant au palais, chargé de la missive royale, et prêt à la commenter par les instructions ministérielles, ne se faisait assurément pas l’illusion de croire que la fermeté, même

  1. Louis XV à Philippe V. — D’Argenson à Vauréal, 16, 17 janvier 1746. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)