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jacinthes, des tulipes et des conifères. J’ai vu quelques-uns des élèves jardiniers travailler, la blouse à l’épaule, le chapeau de paille au front, le sécateur en main, déjà sûrs de leur coup d’œil, relevant une plate-bande, piquant un tuteur, alertes et courant rabattre le paillasson des serres lorsque le soleil devenait trop vif. Un maître jardinier les dirige et leur fait la leçon. Un de ces enfans, de quatorze à quinze ans, était occupé à dépoter des boutures de géraniums ; je m’en suis approché, et, à brûle-pourpoint, je lui ai dit : « À quelle époque a-t-on introduit la glycine en France ? .. » Il a redressé la tête, m’a regardé d’un air narquois en clignant de l’œil, et très vite a répondu : « 1825. » Que le lecteur ne prenne point haute opinion de mes connaissances en histoire botanique ; j’avais lu cette date le matin même, dans je ne sais plus quel volume, et par hasard je ne l’avais pas oubliée.

Tel est l’ensemble de l’orphelinat. Dans l’organisation générale, comme dans les détails, dans l’idée mère, comme dans la conception plastique et l’exécution, l’établissement est irréprochable, et cependant il offre un inconvénient auquel j’ai lieu de croire qu’il sera bientôt remédié. Il n’est pas aussi isolé qu’il conviendrait de l’être à un lieu destiné à l’éducation d’enfans qui doivent être tenus à l’abri de tout contact douteux. La configuration des terrains accidentés et bossus ne permettait d’élever l’orphelinat qu’au point culminant et aplati de la colline ; il en résulte que les préaux sont mitoyens à la forêt de Meudon par un vieux mur qui les en sépare. Les promeneurs, — surtout le dimanche, — jeunes pour la plupart, souvent en goguette, grimpent volontiers sur la muraille, se placent à cheval sur le chevron et adressent aux enfans des propos dont parfois le cynisme est pour étonner. Si à ces « farceurs » de la libre pensée et de la pornologie on rappelle qu’un poète a dit : Maxima debetur puero reverentia, ils en sont quittes pour répondre qu’ils ne comprennent pas le latin et entonnent des chansons dont on rougit dans les casernes.

Les gros murs de la maison étaient déjà construits lorsque cet inconvénient fut prévu et signalé à la duchesse par un homme expert aux facéties de la jeunesse, souvent trop gaie, qui fréquente les bois des environs de Paris. Elle voulut le neutraliser d’avance et demanda l’autorisation d’acquérir un hectare et demi de la forêt de Meudon, afin de mettre son orphelinat hors de toute mauvaise ingérence. Le domaine de l’état est inaliénable, on ne peut en vendre une partie ; mais, si les pouvoirs législatifs ne s’y opposent, on a le droit de procéder par voie d’échange. La duchesse de Galliera, en compensation du lopin de la forêt de Meudon, dont la valeur représente une somme de 17,430 fr. 44, offrit