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regrettez-vous ? » il sembla hésiter et finit par me dire : « Pas trop ; il y a déjà tant de déclassés. » Oui, il y a déjà tant de déclassés ; mais c’est le fait des natures qui aiment le sol natal d’un tel amour qu’elles ne peuvent se décider à demander la fortune à l’émigration, ni même aux colonies les plus fécondes en promesses.

Est-ce à ces déclassés, à ces bacheliers sans emploi, à ces instituteurs sans école, à ces étudians sans diplôme, proie future de la politique et des déceptions, est-ce à ces à-peu-près, à ces « ratés » peints de main de maître par Alphonse Daudet, que la duchesse de Galliera a pensé lorsqu’elle a fixé le règlement de son orphelinat ? Je le croirais volontiers, car la maison ne se ferme pas pour l’écolier qui a terminé ses études et reçu le brevet auquel il a droit ; loin de s’en séparer, elle le garde, elle continue à pourvoir à ses besoins, elle le conserve près du berceau primaire, sous la direction des hommes de bien qui l’ont tiré des limbes de l’ignorance, et elle lui enseigne un métier, un métier de plein air où il retrouvera peut-être un souvenir de ses premières années, s’il est né à la campagne, s’il s’est roulé sur les foins coupés, s’il a vécu parmi les floraisons de la nature. Le métier est bon, rémunérateur, diraient les économistes, peu propice à la rêverie, ce qui est un grand bien, utile à tout le monde et souvent joyeux pour celui qui l’exerce. Que d’idylles ne pourrait-on faire encore sur le bonheur de ceux qui, pour prix de leurs peines, reçoivent « les doux présens de Flore et de Pomone ? » O fortunatos nimium !

A l’école primaire succède une école d’horticulture ; on y apprend l’art de cultiver les fleurs, les légumes, les fruits, les arbres d’agrément et les essences forestières. L’enseignement n’est pas seulement théorique, comme on pourrait le croire, il est pratique, minutieusement pratique, il ne néglige ni les terres lourdes, ni les terres légères, ni les terreaux, ni les fumures ; il a le parc pour laboratoire, et une simple énumération démontrera la richesse des élémens d’expérimentation que l’on y a réunis. Huit grandes serres, deux orangeries, six bâches chauffées reçoivent les plantes exotiques, et, pendant l’hiver, abritent les arbustes frileux. Dans les jardins, lorsque je m’y suis promené (mai 1889), on pouvait compter 2,049 espèces différentes de poiriers, 939 de pommiers, 252 de vignes, 238 de pêchers, 290 de cerisiers, 150 de pruniers, 8 de figuiers, 314 de fraisiers, 53 de framboisiers et 400 de pommes de terre. C’est là le verger, il fait honneur à l’industrie de l’homme qui, de chacune des essences mères, a su faire naître tant de variétés. La région des fleurs n’est pas moins opulente : 2,400 sortes de roses, 390 de dahlias, 250 de glaïeuls, 220 de pivoines, 320 de chrysanthèmes, auxquels il faut ajouter la collection complète des