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prononcé en sortant du noviciat. Le conseil d’administration des fondations Brignole-Galliera fixe, tous les ans, la somme qui est attribuée à la maison de retraite pour chacun des frères reçus en hospitalité : « Cette allocation sera faite à forfait pour toutes les dépenses, éclairage, chauffage, vêtemens et entretien compris[1]. » Un frère économe placé sous l’autorité du frère directeur est chargé de la gestion financière. Actuellement la somme est de 800 francs par tête. Lorsque les frais généraux sont payés, que l’aumônier a reçu son traitement annuel, il reste, pour chaque frère, un peu plus d’un franc par jour ; c’est sur ce mince pécule qu’il faut pourvoir à la nourriture et à l’entretien. Heureusement les jeûnes sont fréquens pour qui se conforme aux prescriptions de l’église catholique ; heureusement encore que les congrégations excellent à des économies qui parfois tiennent du prodige. On dirait qu’il leur suffit de ne pas mourir de faim.

Je ne quitterai pas cette grande maison, si noble par l’intention qui l’a fait élever, sans émettre un vœu, comme si j’étais un conseil général. Dans le parc, j’ai vu bien des talus couverts d’herbes et des pelouses où la luzerne savoureuse verdirait volontiers au soleil. Je serais satisfait si deux vaches, deux petites bretonnes bonnes laitières, s’y promenaient en compagnie de deux chèvres ; je voudrais qu’elles fussent là broutant, ruminant, alourdies par les mamelles gonflées d’un fait qui, pour des vieillards affaiblis, de santé parfois débile, serait un aliment réparateur, à la fois fortifiant et léger. Si dans quelque coin du domaine, on pouvait en outre installer un poulailler où notre coq gaulois chanterait sa fanfare en faisant les yeux doux aux poules de Crèvecœur et de Brahmapoutra, je serais content, et les pensionnaires le seraient aussi, car ils auraient des œufs frais à mouillette que veux-tu.


IV. — L’ORPHELINAT.

La pente douce d’une allée traverse le parc en diagonale et conduit à l’orphelinat, qui, solidement établi sur le sommet de la colline, ressemble à une forteresse regardant vers Paris. Cette impression s’impose. Par ce temps de rumeurs belliqueuses, entretenues par des inquiétudes peu justifiées, à cette heure où la science de toute nation redouble d’efforts pour mettre l’extermination aux mains du service militaire obligatoire, l’esprit est hanté par des visions de batailles, et je n’ai pu m’empêcher de penser

  1. Règlement, II, art. 25.