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semblables aux autres, quoique un peu plus grandes ; elles sont vides lorsque je les parcours. L’infirmerie est ouverte non-seulement aux frères hospitalisés, mais aux malades, aux convalescens qui peuvent y être envoyés par la maison-mère de Paris. Une visite quotidienne est obligatoire pour le médecin, et la pharmacie est abondamment pourvue.

Lorsque j’ai visité la maison de retraite, la température était tiède, le soleil brillait parfois entre les nuages, les feuilles s’ouvraient au souffle du printemps, l’herbe des pelouses poussait drue, les oiseaux babillaient sur les branches. La nature était douce et limpide. La plupart des pensionnaires étaient dans le parc, au hasard de leur fantaisie, presque tous isolés, assis sur des bancs, « la tête à l’ombre et les pieds au soleil ; » c’est à peine si j’ai aperçu deux soutanes marchant côte à côte et tachant de noir la blancheur des allées. Ils sont immobiles, affaissés sur eux-mêmes, l’œil fixé sur quelque rêverie lointaine, les mains enfoncées dans les manches de la soutane, loin de terre peut-être, à coup sûr loin du lieu où ils se reposent. A quoi pensent-ils ? aux joies de leur enfance, lorsqu’ils gaulaient les noix ou que, pieds nus, ils cheminaient derrière la charrue paternelle pour ramasser les mans voraces et courir après les musaraignes ? revoient-ils l’école, le noviciat, la première classe timidement faite à des gamins effrontés ? se souviennent-ils des champs de bataille où ils ont porté le brancard, de celui qui est tout près, à portée de leurs regards, et où le 3 avril 1871 ils allaient avec une simplicité héroïque ramasser les pauvres gendarmes tués par la plus sacrilège des insurrections ? évoquent-ils l’image des pays étrangers où ils ont vécu sous leur règle immuable, faisant aimer la France et portant la lumière dans les esprits obscurs ? se sentent-ils tressaillir en écoutant les voix tumultueuses des orphelins qui jouent dans la maison que l’on aperçoit sur la hauteur, et, se rappelant les jours de leur jeunesse, alors qu’ils surveillaient leurs écoliers en récréation, se disent-ils : Ah ! c’était le bon temps ! J’ai accosté un de ces vieux hommes écroulés ; avec lui j’ai causé de l’Egypte, qu’il a habitée pendant de longues années ; son regard éteint s’est animé, une lueur y a passé, lorsque je lui ai parlé du Nil et de la forêt de palmiers qui ombrage Mit-Rahyneh auprès des collines de Sakkara où les momies d’Ibis dorment dans des pots d’argile.

Dans leur demeure princière, dans leur parc magnifique, les frères de la doctrine chrétienne continuent la vie frugale qu’ils ont menée au long de leurs jours et dont, à leur âge, ils ne pourraient se déshabituer sans péril. Ils vivent en commun, et leur mode d’existence n’est pas pour rompre le vœu de pauvreté qu’ils ont