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hommes sont plus soumis que les femmes ; celles-ci regimbent souvent, ceux-là s’inclinent et ne murmurent jamais. La Fille de la Sagesse qui a le commandement du peloton masculin n’a qu’un signe à faire pour être obéie ; on reste confus devant un de ses regards plus sévère que d’habitude, et, en voyant son doigt se lever on est tenté de rentrer sous terre. Cette puissance, qui semble recherchée par ceux qui la subissent, est d’autant plus remarquable que la sœur qui l’exerce est petite et mièvre, mignonne, comme l’on dit au pays angevin, avec un joli visage qu’animent deux yeux très vils ; sa tête disparaît presque sous sa cornette, et son corps svelte ne se laisse même pas deviner derrière les plis de sa robe de bure. Elle va, elle vient, elle trottine dans les couloirs, veillant à tout, agile, rapide, douée de la double activité de la jeunesse et du bon vouloir. Plus d’un vieux pensionnaire, la voyant passer, la suit d’un regard attendri. Si l’on remplaçait cette sœur accorte et charmante par un religieux, si doux qu’il fût, je me figure que la discipline en pourrait souffrir.

Il faut reconnaître, du reste, en thèse générale, que l’homme accepte l’adversité avec plus de résignation que la femme. Sa lutte ayant été plus persistante et plus dure, il se sent plus vaincu. L’expérience lui a enseigné qu’il n’est pas assez vigoureux pour vaincre ses vices ou son destin ; il se l’est tenu pour dit, il reste écrasé, et lorsque parfois il jette des yeux jaloux sur les existences paisibles auxquelles il n’a pu atteindre, il se contente de dire : je n’ai pas eu de chance, excuse banale de tous ceux qui ont mal dirigé leur vie. Cantù a dit : « Pour les hommes qui pensent, la vie est une comédie ; elle est une tragédie pour ceux qui sentent. » D’accord ; mais il faut quelque supériorité d’intelligence pour être, si peu que ce soit, Démocrite ou Héraclite. Je ne serais point étonné que les pensionnaires de la maison de Clamart n’eussent jamais pensé, au sens scolastique du mot, et je crois que, s’ils ont senti, c’est plus par la sensation que par le sentiment. Tragique ou comique, l’existence leur est restée incompréhensible ; ils n’y ont vu qu’une série de défaites, de tentatives malheureuses qui conduisaient au désastre, une suite d’aventures médiocres dont on sortait amoindri et découragé. Ils en sont restés abrutis, n’étant préoccupés que de la satisfaction de leurs besoins quotidiens peu exigeans, et ils ne se déplaisent point dans un hospice qui y pourvoit, sans imposer aucun labeur en retour, ce qui leur permet de végéter dans une paresse où ils trouvent peut-être des jouissances que nous ne soupçonnons pas. Si par hasard un philosophe s’est échoué parmi eux, il sait qu’il est inutile de se révolter contre la tyrannie de l’âge, et, plus que ses compagnons encore, il se