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pu étioler. Au cours de sa vie et de sa bienfaisance, elle a été souvent trompée. Elle était de celles dont on abuse facilement, car elle avait naturellement la main ouverte, donnant parfois à tort, souvent à travers, se laissant duper, le sachant et ne faisant qu’en rire. Elle n’ignorait pas que richesse oblige. On lui démontrait que ses aumônes s’adressaient mal et tombaient entre les mains des faux indigens ; on avait beau l’avertir et l’admonester, elle n’en distribuait pas un sou de moins. Elle avait la générosité incorrigible et les fainéans ont beaucoup perdu à sa mort. Elle savait que derrière ce troupeau de quémandeurs, toujours à l’affût d’une aubaine, il existe de vrais misérables, dignes de toute pitié, et que plutôt que de s’exposer à ne point leur venir en aide, il vaut mieux accumuler les excès d’une bonté qui ne veut pas se réserver. C’est à ce sentiment que l’on doit les œuvres entreprises au cours de ses dernières années et qui ne sont entrées en vigueur qu’après sa mort. Elle s’est émue surtout de deux faiblesses : l’enfance, pleine d’ignorances, c’est-à-dire d’erreurs conduisant au péril ; la vieillesse saturée de déceptions, c’est-à-dire de regrets et de rancunes qui mènent au désespoir. Aussi sa pensée suprême fut pour les vieillards dénués, pour les hommes dont la vie s’est usée dans le dévoûment, pour les enfans orphelins. Elle les avait aimés pendant son existence, elle voulut continuer à les secourir d’au-delà du tombeau. Elle le fit sans effort, pour se plaire à elle-même, car la charité procure de telles jouissances que rien n’en peut décourager ceux qui l’ont exercée pour leur propre satisfaction.

De son amour du bien, appuyé sur une opulence qui défiait les obstacles, sont sorties trois œuvres que nous allons successivement faire connaître.


II. — L’HOSPICE FERRARI.

Lorsque l’on a suivi, à Clamart, une longue rue peu alignée et mal pavée, on arrive devant une église offrant des vestiges de l’architecture du XVe siècle, qui devait être autrefois englobée au milieu de maisons que l’on a fait disparaître. Le terrain est aujourd’hui déblayé et forme une place assez large au fond de laquelle on aperçoit une vaste construction précédée par une cour close d’une grille ; c’est l’hospice Ferrari. L’aspect en est lumineux et gai ; l’ensemble a une apparence de bonne humeur qui séduit. Malgré le souci de la forme, qui est d’une rare élégance, à la fois sérieuse et simple, comme il convient à la destination de l’édifice, on peut affirmer, avant même d’avoir franchi le seuil, que l’on