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Galliera fut de l’opposition, opposition discrète, épigrammatique et sournoise, sans danger pour ceux qui s’y divertissaient, sans inconvénient pour ceux qui en étaient le but ; opposition essentiellement française, où, — pardonnez-moi le mot, — « la blague » remplace le raisonnement, qui se cantonne volontiers dans les conversations lorsque le pouvoir a la main prompte et lourde, opposition qui date de longtemps en notre pays, qui renaît spontanément dès que les circonstances l’y invitent, qui ne s’est point ménagée dans les mazarinades et qui nous a légué les chansons dont le XVIIIe siècle s’est tant diverti. Cette opposition où se complaisent les oisifs a été, sous l’empire ressuscité, ce qu’elle avait été sous la Restauration, la joie de quelques coteries ; on colportait des bons mots et l’on riait ; un écrivain fut presque célèbre pour avoir dit de Napoléon III : « Celui que la pudeur m’empêche de nommer. » Rien de cela ne tirait à conséquence.

Pendant la guerre, après la guerre, la duchesse de Galliera fut généreuse sans compter ; un de ses amis me disait : « Elle donnait à outrance. » Si elle y mit quelque ostentation, l’ampleur de ses dons en fut augmentée ; les malheureux ne s’en plaignirent pas. Son cœur était droit, son âme était haute ; on le vit bien lorsque, devenue veuve à la fin de 1876, elle se trouva maîtresse de la fortune immense qui désormais lui était acquise. Elle eut quelques désillusions lorsqu’elle en constata les origines, ou, pour mieux dire, le prodigieux accroissement. Les millions primitifs qu’elle avait trouvés dans sa corbeille de mariage s’étaient multipliés par des spéculations habiles, par d’heureuses entreprises, et avaient produit une somme tellement énorme que pour la renfermer il eût fallu centupler les dimensions du caveau où le vieux Ferrari avait expiré jadis. Ce fut sans doute en reconstituant les actes de naissance de ses richesses qu’elle se résolut à des œuvres de charité multiples qui seraient, en quelque sorte, un acte de renoncement et d’humilité. On pourrait croire qu’elle regretta que son mari ne se fût pas inspiré de la parole de la reine Marie Leczinska : « Il vaut mieux écouter ceux qui nous crient de loin : Soulagez notre misère, que ceux qui nous disent à l’oreille : Augmentez votre fortune. » Elle se dépouilla avec passion. Semblable à ces hauts et puissans seigneurs d’autrefois, qui, après avoir vécu dans les splendeurs de ce bas monde, se couchaient sur la cendre à l’heure de la mort et revêtaient l’habit de saint François, elle s’enveloppa de charité et mourut en répandant des bienfaits.

La part qu’elle s’est plu à faire aux malheureux a été d’une largesse souveraine. C’est ici qu’éclate sa volonté d’être secourable et que se montre la noblesse de son âme que nulle désillusion n’a