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forteresse n’offre que de bien minces ressources[1] et il ne faut pas les épuiser ; l’armée est réduite de moitié, les courages sont abattus ; sans doute la marche continuera le lendemain, le soir même, sur Landrecies et les frontières de France ; cela semble inévitable. Mais quelle alarme, quel trouble causerait cette retraite ! Quelles en seraient les conséquences ! M. le Prince rentrant en France vainqueur à la poursuite de Turenne vaincu, c’est la faction ranimée, le soulèvement de mainte province, le bouleversement de l’État ! Aucun moment n’a été plus critique[2]. Turenne le comprend ; son parti est pris, et pour le marquer il arrête au passage quelques chariots revenant à l’aventure, fait déposer le bagage, dresser des tentes. Avec cette poignée d’hommes abattus, à peine armés, mal munis, il fera ferme en face de troupes nombreuses, enflées de leur victoire. Par sa contenance, il retiendra les siens, arrêtera l’ennemi.

Deux jours s’écoulent dans l’attente. Don Juan a voulu jouir de son triomphe, laisser à ses soldats le temps de recueillir le butin. Le 18 juin, l’armée du roi catholique s’approche du Quesnoy. L’infanterie de France se met sous les armes ; les chevaux sont sellés ; mais les charges restent à terre, les cavaliers à pied, les voitures dételées, les tentes dressées ; nul préparatif, nul indice de départ. Un chevau-léger ayant essayé de charger son cheval, Turenne court sur lui le pistolet haut ; si l’homme ne s’était jeté à terre, il était tué. Personne ne bouge ; tous ont le cœur serré par l’anxiété. — Le maréchal détache quelques escadrons pour disputer le passage des ruisseaux qui sont devant le front. L’avant-garde des ennemis s’arrête comme surprise ; leurs généraux s’avancent pour reconnaître, admirent cette armée immobile ; la position semble forte ; que cache cette attitude résolue ? un piège ? une manœuvre ? un renfort ? — Le soir arrive ; la bataille sera sans doute pour le lendemain ; mais la journée du 19 se passe ; on tient conseil autour de don Juan,

  1. Le gouverneur, Beauvau, écrivait à Mazarin, le 24 juillet, qu’il manquait de canon et de fourrages. (Affaires étrangères.)
  2. L’Europe avait les yeux fixés sur Valenciennes : « Ce siège est considéré comme une crise dans les affaires publiques, qui doit finir la guerre ou la rendre éternelle, affermir la fortune du cardinal Mazarin, ou rassembler des quatre coins de l’Europe les forces et les mains des hommes pour le jeter à terre, » écrivait Marigny à M. le Prince, de Florence, le 5 août ; et quelques jours plus tard (19), à la nouvelle du secours : « M. le cardinal de Retz a quitté cette ville pour s’approcher de Paris afin d’estre en estat de profiter des occasions qu’il espère du succès de vos armes. » (Papiers de Condé.) — Sur le point de s’unir à la France, Cromwell faillit rompre : « M. le protecteur a esté affligé extrêmement de la victoire de Valenciennes ; cela a rompu le dessein que la France avoit d’assiéger Dunkerque par terre et M. le protecteur par mer. » (Barrière à M. le Prince. Ibidem.)