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mains avec sa vaillance, son étourderie ordinaires, et se heurte dans l’ombre à la cavalerie de Condé. Cette fois il fut non-seulement battu, mais blessé et pris. La débâcle devient alors complète et marche comme la foudre. Les trois attaques formaient une ligne d’échelons obliques devant lesquels tourbillonnent, défilent les fuyards. Ceux-ci, après avoir cherché à traverser la rivière au-dessus de la place, refluent vers la route de Condé. D’un côté, l’inondation a enlevé les ponts, les barrages. De l’autre, Marchin, qui a enfin pu pénétrer dans les lignes, barre la chaussée. A la faveur des ténèbres, deux à trois mille hommes, sans armes, demi-nus, purent gagner la petite place de Condé. Tout le reste de l’armée de La Ferté fut tué ou pris. C’était la revanche d’Arras[1].

Marchant avec l’échelon de droite, qui avait rasé le pied des murailles et trouvé peu de résistance, don Juan était entré avant l’aube à Valenciennes. M. le Prince, arrivant entre cinq et six heures du matin sur la place du Grand-Marché, comptait bien n’y plus trouver le vice-roi ; mais don Juan, retenu par les félicitations, la foule, le vin d’honneur, le Te Deum, la garde bourgeoise, n’avait pas poussé jusqu’au camp de Turenne et s’était borné à faire sortir six petits escadrons des « bandes d’ordonnance » qui lui servaient d’escorte. Sans s’arrêter, Condé court sur leurs traces ; à peine hors des murs, il rencontre les débris de cette troupe rapportant le corps de son vaillant chef, un Mérode, le marquis de Treslon[2]. Le camp est vide, jonché de débris, de voitures, de canons

  1. Le soir même, M. le Prince visita La Ferté sur son lit et lui fit force complimens, assaisonnés de sarcasmes à l’adresse de Turenne : « S’il n’écoutait que son cœur, il aurait aussitôt remis le maréchal en liberté : mais l’état de ses affaires ne lui permettait pas de négliger cette occasion de tirer quelque argent du cardinal Mazarin. » La Ferté, rétabli, eut la permission d’aller à Paris sur parole ; puis il dut passer de tristes jours à Rocroy, sous la garde de Montal, jusqu’à l’arrivée des 80.000 livres exigées pour sa rançon, décembre 1656. (Papiers de Condé.) — De son armée, 3,000 à 1,000 soldats et quelques centaines d’officiers étaient prisonniers comme lui ; parmi ceux-ci, plusieurs officiers-généraux, Gadagne, Puységur ;… nombreux trophées enlevés ou ramassés. — M. le Prince avait perdu un de ses lieutenans-généraux, Saint-Ibal, cet infatigable conspirateur dont nous avons déjà parlé, à certains momens, ennemi acharné de Condé, et naturellement devenu aujourd’hui une des colonnes de son parti. Presque tous les capitaines de « Persan » étaient tués, Marchin grièvement blessé. — Le Musée d’Anvers possède un curieux tableau de Téniers, qui représente le Secours de Valenciennes, avec les portraits de don Juan, de M. le Prince et de leurs principaux lieutenans. Ce tableau-plan, qui rappelle la disposition des toiles de la galerie de Chantilly, confirme les dépêches et relations contemporaines qui nous ont fourni les élémens de notre récit.
  2. Les Relations véritables portent le marquis de Treslon sur la liste des blessés. Dans son récit du siège de Valenciennes (récemment publié avec d’excellentes notes par M. Maurice Hénault), Simon Le Boucq dit que le marquis mourut presque aussitôt de ses blessures.