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adversaire tel que Condé ? L’inaction de l’armée extérieure semblait mieux justifiée. Maîtres de la campagne, tenus au courant de la situation de la place, les deux princes avaient tout avantage à laisser l’assiégeant, bloqué dans ses lignes, user ses forces et ses ressources, jusqu’au jour où la situation des assiégés commanderait un effort. Et cependant, par le jeu des écluses d’amont, ils troublaient l’ennemi, renversaient ses travaux, tout en formant à Bouchain un amas d’eau qui, lâché à l’heure dite, coupera comme un torrent l’armée française en deux tronçons.

Le premier symptôme du réveil de l’armée de secours fut le départ du bagage expédié sur les derrières. Enfin, dans la nuit du 15 au 16, don Juan, M. le Prince et leurs troupes traversèrent l’Escaut sur onze ponts un peu en-deçà de Denain. Le passage commença à dix heures du soir. Un petit feu allumé derrière la censé d’Urtebise, et caché à l’ennemi par le relief de l’édifice et du terrain, servait de point de direction. Le canon du mont Hawie tirait par intervalles, pour couvrir le bruit, en attirant l’attention des gens de Turenne ; d’ailleurs un grand silence fut observé dans les colonnes. Le mont Hawie s’était tu à son tour lorsque, à une heure et demie du matin, trois coups tirés par ses plus grosses pièces donnent le signal de l’attaque. L’armée du roi catholique a terminé son déploiement et s’apprête à escalader les retranchemens. De nombreux pots à feu s’allument, éclairent la scène. En tête marchent les enfans perdus et les grenadiers, prêts à lancer ce projectile de main, précurseur de l’obus. L’infanterie les suit en ordre de bataille. Derrière les combattans, les travailleurs sont rangés, prêts à raser les lignes pour ouvrir passage à la cavalerie. Aux premiers coups de feu, tous s’avancent à la fois : don Juan, Caracena et les gens de pied d’Espagne à droite, le long de l’Escaut ; puis les Wallons du prince de Ligne, donnant la main à Condé, qui tient le centre sur la hauteur, du côté de Saint-Amand. Marchin, venant d’une autre direction et chargé de la fausse attaque, à la gauche, vers Beuverage, rencontra moins de difficultés matérielles que ses camarades et s’engagea avant eux ; mais il fut rudement abordé et deux fois repoussé par les Gardes suisses. Au centre, l’obstacle était plus redoutable et l’action devait être décisive.

De l’armée française, « Piémont » est le premier sur pied, culbute les enfans perdus, repousse « Persan. « Il est enveloppé ; les gendarmes le soutiennent. — A Rocroy, le duc d’Anguien avait rallié ce vaillant régiment autour du drapeau de Jean de Médicis. Hélas ! c’est Condé qui aujourd’hui charge, enfonce les « bandes noires, » dispute aux gendarmes l’étendard qu’ils portaient à Lens ! — La Ferté a rassemblé plusieurs escadrons ; il vient aux