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routes de Douai et de Lille, observant le cours de l’Escaut inférieur. Mais don Juan et M. le Prince demeurèrent sur la rive droite dans leur camp de Famars[1] ; devant leur front ils occupaient un mamelon assez élevé, le mont Hawie[2], qui commandait l’extrémité sud-ouest des lignes de Turenne et qui fut garni de canons. De son feu presque incessant, cette batterie incommodait le quartier des Lorrains, que leur défection récente, bien justifiée cependant, mettait en butte au ressentiment particulier des Espagnols. Les tentatives faites pour déloger cette artillerie restèrent sans résultat et ces escarmouches ne donnèrent lieu à aucun engagement sérieux. Du côté de la place, les sorties étaient fréquentes et bien soutenues. Cette défense énergique fait honneur au gouverneur, duc de Bournonville[3], aux troupes de ses lieutenans, La Motterie et don Francisco de Menesses, aux compagnies bourgeoises et à toute la population. Signalons deux corps recrutés parmi les ouvriers : les « bigorniaux, » habiles à manier leurs « bigornes » ou bâtons ferrés aux deux bouts, et les hommes des charbonnages (déjà exploités) qui, enfermés dans la ville, furent employés comme mineurs ; leurs fourneaux, bien et rapidement poussés, étaient devenus la terreur des têtes de sape françaises.

Cette lutte semblait absorber l’attention de Turenne. On s’explique difficilement, — et nous osons le répéter après Napoléon, — qu’il n’ait rien entrepris pour se délivrer de l’étreinte de l’armée de secours. Ses troupes étaient supérieures en nombre et en qualité, ses retranchemens faibles ; nul doute que Condé ne cherchât la revanche d’Arras ; tout conseillait donc de prendre l’offensive. Mais le maréchal était-il assuré de trouver chez son collègue un concours intelligent ? N’espérait-il pas que l’ardeur de Condé serait paralysée par l’esprit formaliste et les procédés cérémonieux des Espagnols[4], ce qui donnerait le temps d’attendre la chute de Valenciennes sans risquer une bataille toujours incertaine en face d’un

  1. Bien connu de tous ceux qui ont étudié l’histoire des guerres de la révolution.
  2. Le mont Hawie ou mont Ouy figure, sans être nommé, sur la carte d’état-major, à environ 1,500 mètres nord-ouest de Famars.
  3. Bournonville, grande famille des Pays-Bas, issue des comtes de Guines. — Alexandre, duc de Bournonville, frappé de disgrâce à la mort de l’infante Claire-Eugénie, passe (1634) en France, où son second fils, Ambroise-François, continuant de servir, est créé duc et pair en 1652 et conserve son nom. Mais ce titre fut aussi porté par Alexandre-Hippolyte-Balthazar, comte de Hennin, fils aîné d’Alexandre. C’est celui qui défendit Valenciennes et qui, en 1674, fut battu par Turenne à Türckheim ; mort en 1690, marié à Jeanne-Ernestine-Françoise, princesse d’Aremberg. — Il y avait donc, en 1656, deux ducs de Bournonville : l’un en France et l’autre aux Pays-Bas.
  4. Nous essayons de traduire ici deux mots essentiellement espagnols : formalidad et ponderacion.