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d’Olivarès quitta tout pour retomber dans la crapule[1] ; un grand poète l’a ressuscité sous les traits de don César de Bazan. — Don Juan[2] réussit mieux. Son précepteur, homme de mérite le jésuite Lafaille, lui donna une instruction complète. Il était beau, un peu gras, spirituel, sans profondeur, vaniteux à l’excès. Dès qu’il fut à flot, il trancha de l’infant ; mais il avait su se contenir d’abord, réussit à conquérir l’affection de son père et obtint assez vite de hauts emplois ; la reprise de Naples et celle de Barcelone lui donnèrent un grand prestige. Ambitieux avec des accès d’indolence, très brave à l’occasion, il venait de montrer une grande vaillance dans un combat avec les corsaires barbaresques, qui attaquèrent sa galère entre Barcelone et Gênes. Arrivé près de Diest, le nouveau vice-roi se croisa avec son prédécesseur et le quittait après une courte et froide entrevue, lorsqu’il rencontra M. le Prince aux portes de Louvain. Cherchant à déguiser sa profonde misère sous un luxe d’emprunt, Condé arrivait de Bruxelles avec « une suite fort leste de douze carrosses » et traita don Juan magnifiquement, comme un souverain qui en reçoit un autre (10 mai). Le vice-roi alla visiter Mme de Condé à Malines ; l’accord semblait parfait entre les deux princes, qui travaillaient activement à préparer la campagne. Mais ils furent devancés par l’armée ou plutôt par les armées françaises.

Celle de Turenne se rassemblait à Marie, celle de La Ferté à Rethel. Soit par crainte de jeter ce dernier dans le parti des mécontens, soit par un reste de défiance et pour ne pas trop grandir Turenne, le cauteleux Mazarin avait maintenu la division du commandement. Cette fois, La Ferté était malade, en sorte qu’au début de la campagne Turenne eut ses coudées franches ; mais son collègue le joignit plus tard, au moment le plus critique des opérations ; à peu près le même que jadis, moins jovial, plus lourd, toujours vaillant, brutal, court d’esprit et plus suffisant que jamais.

Après quelques mouvemens préparatoires, ces deux armées, environ 24,000 hommes, s’étaient réunies sous la direction de Turenne, et, le 15 juin, le maréchal écrivait à Mazarin : « Ayant marché auprès de Tournai, j’ai trouvé un corps de quatre régimens et de mille chevaux campé sous la porte. J’ai aussitôt fait retourner la cavalerie et marcher toute la nuit ; de sorte qu’aujourd’hui on prend les postes autour de Valenciennes… C’est un fort grand siège. »

  1. Mémoires du baron de Worden.
  2. Né en 1629, don Juan fut rappelé des Pays-Bas en 1659, après avoir perdu la bataille des Dunes. Devenu premier ministre sous le règne de Charles II (1677), il fit le mariage du roi avec Marie-Louise d’Orléans et mourut peu après (1679).