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Fuensaldaña, usé, cassant, avait offensé tout le monde ; il avait fait congédier Isembourg[1] ; Léopold ne lui parlait plus ; Condé envoyait lettres sur lettres en Espagne pour demander l’éloignement du ministre intraitable auquel on imputait cette longue suite de revers. Cependant celui-ci laissait tous les services assurés, une armée de 18,000 hommes de pied, 12,000 chevaux, un train de 28 pièces de canon, etc. Quant à Léopold, il avait, après son malheur de Lens, médiocrement profité des avantages que lui offrait la situation intérieure de la France. La fortune lui donne successivement Turenne et Condé pour lieutenans : avec le premier, il est battu à Rethel ; avec le second, il perd places sur places et se fait bousculer devant Arras. Il n’avait pas su retenir les Lorrains, qui, dociles aux ordres de leur prince prisonnier, venaient de passer au service du roi très chrétien. On le trouvait trop Allemand, lent, fatigué, découragé ; il était temps de le renvoyer à sa musique et à ses tableaux[2].

Le marquis de Caracena, nommé capitaine-général des États de Flandres, arrivait d’Italie avec une belle réputation ; il était connu aux Pays-Bas, avait des services et des blessures ; sa personne était agréable ; il parlait bien, sans être possédé, comme son prédécesseur, du démon de la contradiction ; en somme, moins revêche que Fuensaldaña, mais aussi moins capable, superficiel et peut-être intéressé[3]. — Le nouveau vice-roi, don Juan d’Autriche, est une figure plus remarquable et qui mérite de nous arrêter. Sa mère, la Calderon, comédienne fort jolie, gaie, d’un caractère sûr, passait pour n’avoir eu aucune intrigue avant la courte et illustre relation à laquelle don Juan devait le jour ; dès sa grossesse déclarée, elle fut aussitôt séquestrée et ne quitta plus le cloître, où elle vivait d’une modeste pension mal payée ; une manœuvre d’Olivarès tira le fils de l’obscurité. Voulant assurer la fortune d’un sien bâtard, fort mauvais drôle, tantôt goujat, tantôt mousquetaire, embarqué sur les galions des Indes ou roulant dans les tripots de Madrid, le comte-duc eut l’adresse d’amener Philippe IV à reconnaître le fils de la comédienne ; les deux enfans naturels furent légitimés le même jour. Déclaré grand d’Espagne et richement marié, le fils

  1. Ernest, comte d’Isembourg, mort en 1664. On se rappelle sa brillante conduite à Rocroy, où il commandait l’aile droite de l’armée d’Espagne. Il n’eut plus d’emploi militaire après le départ de don Francisco Melo. Devenu chef du conseil des finances, il fut exilé dans ses terres.
  2. Il mourut le 20 novembre 1662.
  3. Don Luis de Benavides, marquis de Caracena (mort en 1668), commandait la cavalerie de Flandre en 1646 ; gouverneur de l’état de Milan (1648), il permuta en 1656 avec don Luis Perez de Vivero, comte de Fuensaldañan qui revint, en 1661, aux Pays-Bas, pour y mourir en arrivant.