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cette crise, qui n’ont créé aucun embarras à M. Sagasta et ne paraissent pas même très pressés de reprendre le gouvernement, quoiqu’ils soient prêts à en accepter la responsabilité.

C’est alors justement qu’a éclaté cette fatale maladie du jeune roi, et que le drame s’est resserré et compliqué. La première conséquence a été la suspension instantanée de toutes les négociations ministérielles, l’ajournement de la crise, une sorte de trêve entre tous les partis monarchiques prêts à se grouper autour de cette infortunée régente, si cruellement menacée. D’un commun accord entre libéraux et conservateurs, la politique a été suspendue. Les chambres qui devaient se réunir sont ajournées. Qu’en sera-t-il maintenant ? C’est une situation unique. Tout tient à un fil qui rattache une frêle créature royale à la vie. Il est certain que, si ce fil se brisait, ce serait un événement des plus graves pour l’Espagne. Ce n’est pas qu’il y eût un moment d’interrègne, une incertitude de succession. Tout est prévu. La couronne reviendrait aussitôt à la jeune princesse qui l’a portée un instant il y a quatre ans, avant la naissance posthume de son frère. Le danger ne serait pas moins grand, même sous la protection d’une régente popularisée par le malheur autant que par la sagesse, et les partis monarchiques sans distinction de nuances se serreraient certainement autour de cette royauté nouvelle comme ils l’ont fait à la mort du roi Alphonse XII. Si le jeune prince triomphe du mal et revient à la vie, comme on recommence à l’espérer, on aura échappé à cette extrémité toujours périlleuse d’un changement de règne dans de telles circonstances. On pourra revenir plus tranquillement aux négociations ministérielles interrompues, et même dans ce cas, qui est le plus heureux, cette crise aura peut-être laissé une impression assez sérieuse pour que les partis sentent le besoin de faire pour quelque temps trêve à leurs divisions. L’Espagne vit depuis quelques jours au milieu de toutes ces éventualités, qu’elle paraît avoir vivement ressenties parce qu’elle a l’instinct, que la monarchie constitutionnelle qu’elle possède avec la plus sage des régentes est encore la meilleure sauvegarde de ses libertés et de sa paix intérieure.


CH. DE MAZADE.