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dissolution des partis qui s’agitent dans le parlement. Oui, vraiment, depuis quelques jours, tout paraît assez sombre dans cette ville de Madrid où une femme courageuse, la régente, dispute son fils à la mort et où la perspective cruelle d’un changement de règne tempère seule le danger d’une certaine confusion politique. On vit dans l’inquiétude, c’est comme un drame qui se déroule à travers toutes les alternatives. A dire vrai, avant même que l’enfant-roi ne fût atteint du mal qui s’est si rapidement aggravé, c’était un fait avéré que le ministère ne pouvait plus vivre comme il était composé, que le président du conseil, M. Sagasta, était au bout de ses tactiques temporisatrices ; il était admis qu’on devait profiter des vacances de Noël pour reconstituer un cabinet et, en effet, à peine les chambres ont-elles été séparées, la crise n’a pas tardé à s’ouvrir. Elle s’est ouverte, parce que le parti libéral, que le cabinet est censé représenter au pouvoir, s’est fractionné à l’infini et affaibli par les divisions, parce que, si le gouvernement gardait une apparence de majorité, il rencontrait devant lui des coalitions toujours renaissantes qui ont jusqu’ici arrêté au passage et le budget et le suffrage universel, ces deux principaux articles de son programme. Seulement, ce n’est pas tout d’ouvrir une crise ; il faut la dénouer, et c’est ici que les difficultés ont commencé. On s’est trouvé placé entre la nécessité de réconcilier toutes les fractions libérales dans une combinaison nouvelle, et la perspective d’un retour inévitable des conservateurs au pouvoir si les libéraux étaient définitivement impuissans.

Dès le premier moment, un seul homme, celui qui n’a pas cessé d’être au pouvoir depuis le commencement de la régence, a paru désigné pour refaire un cabinet par un nouvel essai de réconciliation libérale, — et M. Sagasta, avec la confiance persévérante de la reine Christine, s’est en effet mis aussitôt à l’œuvre. Il avait à donner satisfaction aux idées protectionnistes de M. Gamazo, aux idées de réformes militaires du général Cassola, aux opinions du général Lopez Dominguez, à la politique constitutionnelle de M. Alonzo Martinez et du général Martinez Campos, à tous ces groupes dissidens qu’il voulait rallier ou désarmer. C’était beaucoup entreprendre, on en conviendra. M. Sagasta, qui est un tacticien des plus habiles, y a mis certes toute sa diplomatie ; il a négocié avec les uns et les autres ; il n’a pas ménagé les concessions pour faire entrer M. Gamazo au ministère des finances, le général Lopez Dominguez au ministère de la guerre. C’est à peine s’il gardait deux ou trois ministres de l’ancien cabinet. M. Sagasta a fini par se heurter contre des difficultés insurmontables, contre les prétentions des dissidens plus ou moins liés entre eux par des engagemens. Il a été obligé d’avouer son impuissance et de remettre un instant ses pouvoirs à la reine. Il ne restait plus qu’à faire appel aux conservateurs qui, à la vérité, ont montré la plus prudente réserve dans