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duel étrange contre sa souveraine, en la frappant dans ses amis, dans ses idées, dans tout ce qu’elle aimait et préférait. Il était resté maître du terrain, il avait depuis longtemps réduit la vieille impératrice-reine à se renfermer dans la retraite, impuissante et inactive, uniquement adonnée à ses goûts littéraires et à ses œuvres de bienfaisance. Elle ne comptait plus même avant la mort de Guillaume Ier, elle avait été vaincue par plus fort qu’elle avant d’être vaincue depuis quelques années par la maladie. Elle survivait encore néanmoins, et c’est ce qui fait presque un événement de la disparition de cette princesse, qui restait comme une dernière image à peine distincte de la vieille Allemagne, d’un temps évanoui.

La politique, à travers ses agitations et ses crises, a parfois, il faut l’avouer, de singuliers incidens, et un des plus bizarres de ces incidens est certainement cette querelle qui s’est élevée entre le Portugal et l’Angleterre au sujet de contrées inexplorées au centre de l’Afrique. S’il n’y avait qu’un différend de diplomatie sur une interprétation de traités douteux, ce ne serait évidemment qu’une petite difficulté entre des cabinets bien intentionnés. Malheureusement cette querelle ne cesse de s’envenimer par l’excitation des susceptibilités nationales, par les commentaires passionnés et menaçans des journaux anglais ou par quelque dépêche lancée à propos pour aigrir le conflit, si bien que les cabinets eux-mêmes finissent par être à la merci de l’imprévu.

Au fond, de quoi s’agit-il ? Le Portugal a certes de vieux droits ; il a depuis longtemps des possessions sur la côte orientale d’Afrique à Mozambique et sur la côte occidentale à Angola ; il a en même temps des possessions intermédiaires à travers lesquelles il cherche à établir des communications. L’Angleterre a de son côté ses colonies du sud qu’elle s’efforce d’étendre en remontant vers le centre africain. Elle a des missionnaires, des consuls remuans qui ne craignent pas les aventures en pays noir ; elle a aussi accordé des chartes à des compagnies colonisatrices, qui se chargent de servir les ambitions anglaises en s’avançant au cœur de l’Afrique. De là, des chocs inévitables. Déjà au mois de novembre, le conflit s’était engagé à l’occasion d’un décret du gouvernement portugais réorganisant les districts du Zambèze. Lord Salisbury avait vivement protesté contre ce qu’il appelait les empiétemens portugais ; le ministre des affaires étrangères de Lisbonne, M. Barros-Gomès, avait répondu avec une habile modération. C’était une négociation qui semblait s’ouvrir paisiblement, lorsqu’est survenu tout à coup un incident nouveau : un officier portugais, le major Serpa Pinto, envoyé en exploration, aurait rencontré sur son chemin une peuplade sauvage, dont il aurait été obligé de vaincre la résistance, et à qui il aurait pris des drapeaux qui, par un hasard inexplicable, seraient