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soixante ans. Le prince Guillaume n’a cessé de témoigner à celle qui était devenue dès 1829 une princesse de Prusse les égards les plus délicats, l’estime la plus affectueuse. La princesse Augusta a été la fidèle, l’intelligente et active compagne de celui à qui elle avait donné deux enfans, le prince qui a été pour trois mois Frédéric III et la princesse devenue grande-duchesse de Bade. Elle s’est associée aux épreuves de son mari ; elle partageait ses disgrâces momentanées après 1848. Vue avec jalousie à la cour du roi Frédéric-Guillaume IV, surtout par la reine Elisabeth, qui était une princesse de Bavière, elle restait le plus souvent à Coblentz, entourée d’amis, occupée de tout ce qui attirait son esprit. Quand elle fut reine à son tour à la mort du roi Frédéric-Guillaume IV dont le prince Guillaume était l’héritier, elle entra dans le règne avec le zèle d’une souveraine éclairée et bienfaisante. On était alors bien près des événemens auxquels le prince de Prusse, devenu roi, allait attacher son nom !

Dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, la reine Augusta s’est toujours ressentie de l’éducation qu’elle avait reçue à Weimar. Elle est restée la princesse aux goûts lettrés. Elle aimait les arts, les œuvres de l’esprit, et on ne peut oublier qu’elle a surtout aimé les œuvres de notre littérature. Elle connaissait nos poètes, nos écrivains et leurs ouvrages, qu’elle lisait ou qu’elle se faisait lire assidûment. Elle a eu longtemps auprès d’elle, même depuis la guerre, un lecteur français. Elle s’intéressait à nos affaires littéraires, et elle mettait souvent de la délicatesse dans son intérêt. Assurément cette princesse lettrée du temps de Goethe a été une bonne Allemande, et lorsque sont arrivées les crises d’où est sorti l’empire nouveau, elle a eu l’orgueil des succès du roi son époux et de son fils. Elle a été avec l’Allemagne dans ses victoires, on ne peut s’en étonner ; elle est restée une bonne Allemande, cela n’est pas douteux : elle l’a été à sa manière, sans haine pour les vaincus, sans se croire obligée d’oublier les goûts de son esprit pour la civilisation française, de trop sacrifier au teutonisme du jour. C’est l’honneur de son caractère d’avoir témoigné, au milieu même des fureurs de la guerre, des sentimens d’humanité et de sollicitude pour nos malheureux prisonniers, de s’être montrée sensible aux appels qui lui ont été quelquefois adressés. C’est la même souveraine qui, encore après la guerre, saisissait un jour, avec une naïveté généreuse, l’occasion de faire demander à M. Guizot une sorte de consultation sur les moyens d’apaiser les haines entre Allemands et Français ! La reine Augusta ne s’est jamais beaucoup mêlée de politique. Si elle eut parfois la velléité d’exercer son influence, elle ne tardait pas à se heurter contre la volonté impérieuse et inflexible de M. de Bismarck, qui prétendait brutalement que « les jupons ne font que gâter les choses en politique. » Le chancelier ne craignait pas un instant d’engager un