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sans mauvaise humeur de la trêve du temps. C’est déjà quelque chose de commencer l’année avec la paix, avec des souhaits universels de paix. Pourvu que cela dure, ce sera l’essentiel !

Que la bonne chance se prolonge jusqu’au bout, ce sera une année paisible de plus. C’est autant de gagné pour les nations et les gouvernemens, pour tous ceux qui ont des œuvres utiles à poursuivre, des difficultés intérieures à régler, des finances à relever, des progrès à réaliser, toutes ces questions délicates du travail et de l’industrie moderne à résoudre. Il n’est pas aujourd’hui de pays pour qui la paix ne soit désirable, qui n’ait ses affaires pressantes de toute sorte, sans parler de l’imprévu, sans compter les deuils qui se mêlent aux affaires. L’Allemagne, pour sa part, commence l’année par un deuil. Ce n’est pas un personnage de la politique qui s’en va ; c’est l’impératrice-reine Augusta, veuve de l’empereur Guillaume Ier, qui vient de s’éteindre, et avec elle c’est une image de la vieille Allemagne, de la vieille cour prussienne qui disparaît comme pour laisser la place libre à une génération nouvelle, à cette jeune cour impatiente de vivre et d’animer la scène à Berlin.

Cette princesse qui s’éclipse aujourd’hui à soixante-dix-huit ans, qui fut la reine Augusta de Prusse, qui devait être la première impératrice de l’Allemagne renouvelée, n’aura point été une figure vulgaire. Dans le demi-jour où elle est souvent restée, dans les traverses d’une vie semée de vicissitudes et de grandeurs, elle a une sorte d’originalité. Elle était née au commencement du siècle dans cette petite cour de Weimar, qui brillait alors de tout l’éclat des lettres et des arts, où Goethe régnait par le génie sous l’habit d’un conseillé privé, où passaient tous les talens qui étaient encore en ce temps-là l’honneur de l’Allemagne. Elle avait reçu son éducation de Goethe, plus encore de ce milieu tout favorable à une culture savante et raffinée. Ce n’est pas sans peine que cette princesse, initiée à tous les arts, fille du grand-duc Charles-Frédéric de Saxe-Weimar, était entrée dans la maison de Prusse, par son mariage avec un des fils du roi Frédéric-Guillaume III. Le prince Guillaume, qui devait être l’empereur Guillaume, avait eu son roman de jeunesse. Il avait rêvé un mariage d’amour avec une des plus charmantes personnes de la cour, la princesse Élisa Radziwil, qui était d’un très noble sang polonais, mais non d’un sang royal. Le rêve n’avait pu se réaliser ; il s’était évanoui devant un ordre paternel, devant la raison d’état ennemie des romans, — et cette petite histoire d’une passion contrariée avait fini par un mariage de résignation ou de convenance royale négocié, pour le jeune prince prussien, avec la princesse Marie-Louise-Augusta de Saxe-Weimar. C’était un mariage par raison d’état ! Il faut se hâter de dire que cette union, en se fixant, en se prolongeant, n’a pas moins été toujours aussi simple que digne, pendant