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montrait son jeu. Dans ses entretiens particuliers, il ne dissimulait rien de ce qu’il espérait en invitant une grave assemblée de diplomates et de jurisconsultes à faire trêve aux discussions sérieuses pour se métamorphoser en un congrès de touristes visitant un pays riche et curieux, banquetés et fêtés, hôtes choyés de la grande république. Le Congrès avait voté, pour ces dépenses, une somme de 125,000 dollars (625,0001francs), mais les villes se disputaient l’honneur de traiter magnifiquement les visiteurs. ; les grandes compagnies de chemins de fer d’organiser il leurs frais un train princier. Jay Gould et ses collègues, ainsi que le comité de réception, entendaient faire grandement les choses et donner aux délégués une haute idée de la richesse des Américains. Ils y réussirent, et jamais encore on ne vit, en pareille circonstance, déployer pareil luxe.

On construisit des voies de raccordement permettant au train du Congrès de passer d’une ligne sur l’autre sans transbordement. Pour épargner aux voyageurs tout retard et tout déplacement, leur installation était définitive et permanente ; jusqu’à la fin de ce voyage de six semaines, d’un parcours de 5,400 milles et qui emprunterait le transit des voies de trente compagnies différentes, ils occuperaient les mêmes voitures au service desquelles étaient affectés des domestiques spéciaux. Cinq wagons construits et aménagés d’après un système nouveau contenant chacun douze chambres à coucher et cabinets de toilette, salles de bains, de coiffeur et buffet, un wagon-salon avec fumoir et salles de jeu, un wagon-restaurant présidé par un chef émérite ayant sous ses ordres les cuisiniers et le personnel nécessaire, constituaient une installation comme il n’en existe pas en Europe. Le train entier était éclairé à la lumière électrique et chaque chambre était aménagée de manière à permettre de lire, écrire, travaillera son aise, ou, d’un balcon vitré, admirer les sites les plus célèbres.

Le jour même de la séance d’ouverture, les délégués furent reçus à la Maison-Blanche par le président des États-Unis ; le soir, ils dînèrent à Bijou-Hôtel, résidence de M. Blaine. Le lendemain, ils partaient ; l’itinéraire tracé leur faisait parcourir vingt États. Retenu à Washington par les complications de sa politique extérieure, M. Blaine déléguait, pour le remplacer auprès d’eux, M. William E. Curtis.

Ces complications sont nombreuses, et il semble que le secrétaire d’état prenne plutôt à tâche de les accentuer. Entre-t-il dans ses plans de laisser la porte ouverte à des réclamations européennes, auxquelles il se réserverait de faire droit en temps utile, mais qui justifieraient devant le Congrès son assertion relative aux dangers