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de cause à ses adversaires, abaisser de ses propres mains des barrières dont on avait déclaré le maintien indispensable. James G. Blaine n’y songe pas. Puisant dans l’excès même du principe l’unique moyen de tourner la difficulté, il se propose de convertir l’Amérique entière aux théories protectionnistes, de les retourner contre l’Europe, d’édifier autour du continent une muraille de Chine, infranchissable à tous, ouverte aux seuls États-Unis.

Espérer en amener là des états jeunes, imbus des théories du libre échange, attendant de l’émigration européenne le rapide accroissement de leur population, de la liberté des transactions l’écoulement de leurs matières premières, du bas prix de l’intérêt dans l’ancien monde les capitaux nécessaires à la mise en culture de leur sol, à la construction de leurs routes et de leurs voies ferrées, à la création de leurs docks et de leur navigation à vapeur, dénotait, de la part du secrétaire d’état, une audacieuse confiance en lui-même, dans les ressources de son esprit ingénieux et délié, dans le concours et l’appui des personnalités les plus puissantes. Il savait pouvoir faire fond sur ces dernières ; il a su les encadrer dans une organisation savante, en faire les rouages utiles d’un mécanisme docile à son impulsion. Tant de questions à soulever et à débattre, tant d’argumens à réfuter, de prétentions à concilier dépassaient la compétence d’un seul homme. Le cas était prévu. Aux termes des lettres de convocation, chacun des pays appelés à figurer au congrès pouvait s’y faire représenter « par autant de délégués qu’il le jugerait bon, étant entendu, cependant, qu’après la discussion des questions soumises au congrès, chaque état n’aurait droit qu’à un seul vote, quel que fût le nombre des délégués. »

M. Blaine fit décider que les États-Unis seraient représentés par dix délégués, sans le compter ; il se réservait la présidence du congrès. Les choix faits furent habiles et, s’ils portèrent, pour la plupart, sur des hommes inféodés au parti au pouvoir, ils portèrent aussi sur des hommes éminens, doués d’aptitudes spéciales et parfaitement au courant des questions à régler. En première ligne, figure l’ami personnel et dévoué de M. Blaine, Andrew Carnegie, de Pensylvanie. Compagnon du futur secrétaire d’état lors de son voyage en Europe, il avait été le confident de ses espérances et de ses ambitions. Représentant des industries minières des États-Unis, possesseur d’une fortune de plus de 200 millions, auteur d’un pamphlet bien connu : la Démocratie triomphante, Andrew Carnegie est, dans la délégation américaine, l’alter ego et le porte-paroles officieux de l’homme d’état. John B. Anderson, du Missouri, légiste éminent, et William P. Whyte, du Maryland, célèbre comme