d’instinct hostiles aux capitalistes et aux manufacturiers qu’enrichissaient les tarifs prohibitifs auxquels, non sans raison, elles attribuaient leurs souffrances. On ne doutait plus du succès de Cleveland, et, critérium infaillible, semblait-il, les paris étaient à deux contre un en sa faveur. C’est alors que Blaine entrait en lice, et se révélait l’adversaire redoutable et le tacticien consommé qu’il sut être jusqu’au vote définitif.
Pendant la période électorale, toutes les armes semblent bonnes, toutes les insinuations permises, et, si les chefs s’abstiennent de certaines personnalités par trop odieuses, on n’en saurait dire autant des politiciens sans scrupules qui gravitent autour d’eux. À défaut d’autres argumens, on ne se faisait pas faute de rééditer contre M. Cleveland les accusations à l’aide desquelles on avait combattu sa candidature en 1884. On rappelait, qu’à l’époque où il était shérif de l’Erié il avait dû, en cette qualité, exécuter de ses propres mains deux malfaiteurs, Gaffney et Morissey, condamnés à être pendus. On ne s’en tenait pas à ce fait, exact d’ailleurs ; on s’efforçait de le diffamer dans sa vie privée, de se faire une arme contre lui de l’universelle sympathie qu’inspirait Mrs Cleveland. On l’accusait de la maltraiter ; s’autorisant d’une absence de sa belle-mère ; on affirmait qu’indignée de sa conduite brutale, elle avait quitté Washington pour l’Europe et se refusait à rentrer à la Maison-Blanche ; vainement elle s’empressait de revenir pour protester par sa présence et ses communications aux journaux contre cette inepte accusation.
Dans de pareilles manœuvres, M. James Blaine n’avait rien à voir. Il les écartait avec dégoût. Adversaire politique, il entendait se maintenir sur le terrain de la politique, porter d’autres coups et mettre à profit les fautes de ses adversaires. Il attendait, prêt à saisir une occasion ; elle ne tarda pas à s’offrir. Le 13 septembre 1888, se produisit un incident, insignifiant en apparence, dont on s’occupa peu le jour même et le lendemain, perdu qu’il était dans la poussière de la lutte, mais dont James Blaine comprit tout le parti que l’on pouvait tirer : il y vit le moyen de détacher de Cleveland le vote irlandais, nombreux et compact, et de l’amener au camp républicain. L’histoire est en droit de s’étonner de l’importance qu’un tacticien habile sut donner à l’incident Sackville.
Sir Lionel Sackville-West, ministre d’Angleterre à Washington, recevait, le 12 septembre 1888, une lettre d’un électeur de Pomona (Californie), dans laquelle celui-ci lui demandait auquel des deux candidats en présence il devait donner sa voix, par-dessus tout soucieux, ajoutait-il, de voter pour celui dont l’élection serait le mieux de nature à rétablir, entre l’Angleterre et les États-Unis les bons rapports compromis par la question des pêcheries.