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de David, de Salomon, des prophètes, et, avec une plénitude de foi, une intrépidité d’assurance qui n’hésite jamais, il y trouve à chaque ligne l’annonce du Christ et la justification de sa doctrine. Enfin, après avoir exposé la marche parallèle des deux cités à travers les siècles, depuis Abel et Caïn, qui en représentent les premières luttes jusqu’au triomphe du christianisme, il indique quel en doit être le terme, et son ouvrage s’achève par une longue étude sur la fin du monde et le jugement dernier.

Nous voilà bien loin, à ce qu’il semble, de l’événement qui a fourni à saint Augustin l’occasion d’écrire la Cité de Dieu. Ne dirait-on pas qu’il ne songe plus à la prise de Rome et à ces malheurs de l’empire qui causaient tant d’anxiétés aux consciences chrétiennes ? Il les a moins oubliés qu’il ne le paraît. Sans doute le cadre de son ouvrage s’est élargi à mesure qu’il avance, et un livre de circonstance est devenu à la fin une œuvre doctrinale ; mais on reconnaît vite que, si elle est faite pour tous les temps, elle s’adresse de préférence aux contemporains, et qu’elle a des leçons particulières pour eux. C’est dans les grandes crises de l’humanité, comme celle que traversait alors l’empire, que l’homme a surtout besoin de croire que rien ne se fait au hasard. On est moins tenté de s’abandonner soi-même, quand on se sent sous la main d’un plus fort que soi ; il n’y a rien de plus insupportable que d’être victime d’un caprice de la destinée. Le mal qu’on souffre paraît plus lourd quand il n’a pas sa raison d’être, et qu’on se dit qu’avec un peu de chance on pouvait l’éviter. Au contraire, on se courbe sans murmurer devant une volonté supérieure, qui avait ses motifs pour frapper, même quand on ne les connaît pas ; d’autant plus qu’on se la figure toujours accessible à la pitié, et qu’on espère la désarmer par la soumission et la prière. C’est ainsi que le grand ouvrage de saint Augustin, qui montre la main de Dieu dans tous les événemens, qui donne la raison de ceux mêmes qui paraissent le plus inexplicables, qui fait voir à l’horizon, d’une manière si éclatante, le triomphe définitif de la justice et de la foi, était pour les gens de cette époque, si misérables, si prêts à se décourager, une consolation et une espérance.

Il est donc très utile de songer toujours, en le lisant, au temps où il fut écrit. De cette manière on le comprend mieux, et même on se rend compte de certains passages qui causent d’abord quelque surprise. Prenons, par exemple, la dernière partie, celle qui traite de la résurrection des corps. On ne peut s’empêcher de trouver que l’auteur y soulève de petits problèmes, qui d’abord nous paraissent fort étranges. Il se demande si les femmes garderont leur sexe dans l’autre monde, si les mutilés, les blessés, les difformes, les gras et les maigres renaîtront comme ils étaient, et de quelle façon