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à nous parler de ces deux cités elles-mêmes et à nous faire leur histoire.

Ces cités, il le répète partout, sont celles de Dieu et des hommes, de la terre et du ciel. « L’une renferme les gens qui vivent selon la chair, l’autre ceux qui vivent selon l’esprit. Ici, l’amour de soi-même est poussé jusqu’au mépris de Dieu, là l’amour de Dieu va jusqu’au mépris de soi-même. » Ce sont les élus et les profanes ; c’est l’église et le monde. Remarquons que ce vieux mot de cité, qui avait joui de tant de crédit chez les peuples antiques, est pris ici dans un sens nouveau. Il avait désigné jusque-là des groupes d’hommes de même origine, parlant la même langue, se serrant dans les mêmes murailles, et regardant comme étranger, c’est-à-dire comme ennemi, tout ce qui vivait en dehors de leurs frontières. La cité de saint Augustin est bien autrement étendue ; elle n’a ni frontières, ni murailles ; elle est ouverte à tous ceux qui, dans le monde entier, reconnaissent le même Dieu, pratiquent les mêmes lois, nourrissent les mêmes espérances. Non-seulement elle contient des gens de tous les pays, mais elle se compose de morts et de vivans, c’est-à-dire que ceux qui ont bien vécu, et qui, dans leur tombe, attendent avec confiance l’éternel réveil en font partie comme ceux qui soutiennent encore le combat de la vie. Voici donc une division nouvelle de l’humanité. Comme elle ne tient pas compte des nationalités et qu’elle n’a pas d’égards particuliers pour les civilisations plus hautes, elle supprime du même coup les étrangers et les barbares. Dans cette bigarrure de races diverses, de nations et de royaumes ennemis qui forme l’univers, elle distingue deux sociétés, qui vivent l’une dans l’autre, mêlées ensemble comme le sont le bien et le mal dans les affaires humaines, mais qui se côtoient sans se confondre, et qui marchent du même pas sans arriver au même but : la cité des croyans et celle des infidèles. Par leur opposition, saint Augustin va expliquer toute l’histoire de l’univers.

Quoique cette dernière partie de l’ouvrage soit plus longue que le reste, l’analyse en est aisée, et l’on peut la faire en quelques lignes. L’auteur y suit le cours des événemens depuis l’origine de notre monde jusqu’à son dernier jour. Les faits ne l’occupent guère, mais il insiste volontiers sur les problèmes religieux qu’il rencontre chemin faisant. C’est ainsi qu’à propos du premier homme, il traite à fond de la création et du péché originel. Puis en suivant l’histoire des fils d’Adam et des premiers Israélites, il commente, il interprète, il explique les récits merveilleux de la Bible. Arrivé aux temps historiques, il esquisse une théorie de la succession des empires et essaie de trouver la loi d’après laquelle ils se sont remplacés sur la terre. En même temps il étudie les livres