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suite et d’un jet, l’ensemble le préoccupe moins que les détails ; comme il n’est pas pressé d’arriver à la conclusion, il s’arrête souvent en route et se jette sans scrupule de tous les côtés du chemin. L’analyse de ces sortes de livres est difficile à faire. Pour qu’elle ne soit pas trop confuse, il faut laisser de côté les développemens parasites qui interrompent le cours du raisonnement, et c’est souvent un grand dommage. M. Ebert fait remarquer avec raison que, dans la Cité de Dieu, ces hors-d’œuvre sont quelquefois plus agréables et plus importans que le sujet principal. D’ordinaire, l’auteur ne les a introduits dans son ouvrage que parce que c’étaient des questions qu’on discutait ardemment autour de lui et qui le passionnaient lui-même ; aussi met-il à les traiter plus de chaleur qu’à tout le reste, et c’est souvent ce qui, dans son livre, a le plus d’intérêt et de vie. Mais il faut se résoudre à n’en rien dire, si l’on veut donner une idée de l’ouvrage dans son ensemble et en faire connaître le plan général.

Comme il était naturel, saint Augustin court d’abord au plus pressé. La Cité de Dieu ayant été composée à propos de la prise de Rome, c’est d’elle qu’il s’occupe d’abord. « Il est si peu vrai, dit-il aux païens, que le christianisme soit responsable de ce désastre, qu’au contraire il a tout fait pour en diminuer l’horreur. » Si Alaric n’avait pas été chrétien, tout aurait péri. Mais, comme il a épargné les églises, les églises ont sauvé ceux qui ont pu s’y réfugier et beaucoup de païens même leur doivent la vie. Pour faire ressortir ce bienfait et montrer que les choses ne se passaient pas ainsi dans les temps où le christianisme n’existait pas encore et qui paraissent aux païens avoir été si fortunés, saint Augustin remonte très haut, jusqu’à la prise de Troie, qu’il se plaît à opposer à celle de Rome. Quel rôle y ont joué les temples, au moment où les Grecs ravageaient la malheureuse ville ? Virgile nous l’apprend : on y gardait, au milieu du butin entassé, les enfans captifs et les femmes tremblantes. Ils n’ont donc pas servi d’asile, comme les églises de Rome, mais de prison. Quelquefois même ils ont été souillés du sang des vaincus, et Priam, qui s’était réfugié auprès de ses autels domestiques, y a trouvé la mort.

Vidi Hecubam, centumque nurus, Priamumque per aras
Sanguine fœdantem quos ipse sacraverat ignes.

Et les dieux de Troie, quel service ont-ils rendu à la malheureuse ville pendant sa dernière nuit ? Au lieu de protéger leurs adorateurs, ils ont eu besoin de leur aide pour se tirer d’affaire. « Panthée, dit Virgile, prêtre de Pallas et d’Apollon, tient dans ses mains les objets du culte et ses dieux vaincus. » Quant à Énée, il