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advantage d’une retraite qui n’a pas esté belle parce que nous n’avons pas esté pressés ; mais aussy je prétens que vous ne tiriés pas advantage de choses qui ne sont pas véritables. J’ay cru, pour satisfaire à ce que je doibs à mon honneur, vous devoir mander cecy, et vous prier, quand vous parlerés une autre fois des actions où j’auray quelque part, de les vouloir dire dans la vérité. J’en ay tousjours usé de mesme envers vous, et quand vous avés servy soubs moy et depuis que nous nous faisons la guerre ; je continueray d’en user ainsy et seray[1]… »

Les Mémoires de Turenne avancent que « M. le Prince écrivit aussi à beaucoup d’officiers de l’armée du Roy, comme voulant faire un manifeste, et manda à M. le maréchal de La Ferté que M. de Turenne ne parlait pas de lui en bons termes dans sa relation. » Cela n’est pas exact. Condé n’écrivit qu’à La Ferté et à Castelnau, rectifiant le récit de Turenne avec une petite flatterie à l’adresse de La Ferté[2], mais sans aucune allusion aux rapports qui existaient entre les deux maréchaux. Avec de justes ménagemens pour son chef, Castelnau, dans sa réponse, donna raison à M. le Prince. « Je suis obligé de dire, comme je lis après cette action, que la cavallerie à qui nous eusmes affaire soutint nos charges avec toute la vigueur possible ; il ne pouvoit guère estre autrement, Vostre Altesse y estant en personne. C’est ce qui fit que je ne voulus pas tenter davantage de passer le défilé du pont avant d’avoir mon infanterie et de me voir soustenu de nostre armée, ne sachant pas ce qui estoit à vostre arrière-garde et le pays estant un peu couvert ; c’est ce qui donna plus de temps aux troupes de Vostre Altesse de passer le pont de l’Escaut auparavant que nous pussions y arriver. Je n’ay point veu passer d’escadron à la nage ; il est néanmoins vray qu’un officier qui estoit allé devant l’a dict à M. de Turenne, et il peut arriver que, comme il y avoit beaucoup d’eau dans la prairie, il le jugea ainsy ; mais nous ne poussâmes pas en cet endroit-là, par la raison que j’ay desjà dicte à Vostre Altesse[3]. »

  1. Papiers de Lonet. (Bibliothèque nationale.)
  2. « Je vous escris seulement pour vous désabuser d’une impression que vous pouriés avoir si M. de Turenne vous avoit dit la mesme chose qu’il a escrite… Si vous eussiés eu l’avant-garde, vous n’auriés pas parlé de mesme de ce qui s’est passé, car vous l’auriés veu… » (M. le Prince au maréchal de La Ferté, au camp de Tournay, 18 août. — Papiers de Comté.)
  3. Castelnau à M. le Prince, camp de Boussu, 22 août 1655. — (Papiers de Condé.) — Dans l’entourage de Turenne, on rejetait tous les torts sur Castelnau, qui se serait laissé jouir par M. le Prince et l’aurait mollement suivi (Mémoires du duc d’York, etc.). Mais, selon le dire d’un contemporain, Castelnau « ne péchait, que par sa chaleur à la guerre, » et son caractère le met à l’abri de ces reproches. — Condé attachait un grand prix au témoignage de ce galant homme, et il avait conservé sa réponse, qui est la pièce essentielle, la « preuve. »