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du sang-froid, l’aptitude au métier, l’intelligence du détail de la guerre, ne put cacher la surprise que lui causait cette inaction : « M. de La Ferté est hors d’affaire, répliqua Turenne, notre succès est assuré ; faut-il, par gloriole, donner prise à celui qui est là ? » — A la vigueur du coup porté, à la halte opportune, à cette façon de mener la troupe bride en main, de la lancer et de l’arrêter tour à tour, il avait reconnu la manière de M. le Prince et deviné sa présence.

Condé savait qu’un avantage inespéré n’était pas à pousser au-delà du but ; il se contentait d’avoir troublé, ralenti l’armée française, donné le temps de sauver le gros de l’armée d’Espagne. L’archiduc, survenant, vit la fin de ce brillant engagement. Va bene ! va bene ! cria-t-il. — No, va male ! va male ! riposta M. le Prince. Exposant brièvement la situation, il engagea Léopold à profiter de l’accalmie pour rassembler les épaves de son armée et se retirer en bon ordre sur Douai. Déjà les pillards avaient passé la Scarpe, les ponts de bateaux étaient rompus, les passages obstrués. Cependant l’archiduc put sortir des lignes avec ses gardes, les généraux et presque toute l’infanterie d’Espagne. En plaine, l’ordre se rétablit, et la retraite sur Douai s’accomplit sans encombre.

M. le Prince était resté en bataille avec ses escadrons, ceux du prince de Ligne et du duc de Wurtemberg, qui depuis le commencement de l’action n’avaient pas cessé de le seconder vaillamment. Une fois l’archiduc et son infanterie dégagés, il ramena vivement toute cette cavalerie jusqu’à son quartier, au sud de la place. Rien n’y manquait : Marchin avait maintenu chacun dans le devoir, écartant les coureurs ennemis, les débandés. Les tranchées étaient proches[1] ; Condé y court, les trouve pleines de monde, fait sortir ceux qui étaient entrés la veille et qu’on avait oublié de relever, les réunit à ses gens de pied et les voit tous défiler devant lui ; on pouvait se croire à la parade. Comme le passage de la Scarpe et la route de Douai étaient interceptés, il donna la direction sur Cambrai, prescrivant de ne pas rompre les rangs et de a marcher en gens de guerre. »

Il était temps : joignant à la cavalerie de la place les premiers escadrons introduits par l’armée de secours, le gouverneur d’Arras sortait avec 2,000 chevaux pour fondre sur les gardes de tranchée ; mais, au lieu d’une infanterie éperdue, il rencontre les chevau-légers de M. le Prince et reçoit un accueil qui le décide à rentrer promptement. a Après avoir fait marcher devant moi jusqu’au

  1. Le quartier de Condé était vers Agny, lez attaques en face de la porte Ronville.