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long. — Du côté de France, il avait fallu mettre à la raison « l’homme gros et court » dont la faible cervelle, plus détraquée que jamais, semblait avoir perdu jusqu’au sentiment de l’honneur : le comte d’Harcourt se préparait à livrer Philisbourg et Brisach à l’Empereur. Castelnau et La Ferté, envoyés avec des troupes, l’amenèrent à composition, rétablirent l’autorité du Roi dans ces deux grandes places. L’Alsace sauvée, il restait à protéger le voyage de Louis XIV, qui allait se faire sacrer à Reims, et ce service d’escorte retenait les troupes françaises. — Le caractère de l’archiduc s’accommodait de ces retards ; Fuensaldaña se perdait dans l’examen des plans ; M. le Prince rongeait son frein. Turenne mit un terme à cette période d’indécision par une résolution inattendue, habile à tous les points de vue.

Le voyage du Roi avait conduit l’armée française en Champagne, à la lisière de l’état que Condé cherchait à se créer le long des côtes de Meuse, dans l’Argonne, entre le Luxembourg et les Pays-Bas. La forteresse de ce petit empire était Stenay, dont nous ne pouvons guère juger aujourd’hui l’importance, très réelle alors ; on se rappelle comme Mazarin en avait marchandé la concession en 1644. Turenne mit le siège devant Stenay. Le coup portait droit. Condé le ressentit comme une offense personnelle, brûlait d’y répondre. C’était aussi un brandon de discorde jeté dans le camp des alliés, et le désarroi de leurs conseils parut un moment incurable.

Ni les Espagnols, ni les Lorrains ne songeaient à secourir la place attaquée, les premiers ne voulant, à aucun prix, se laisser entraîner loin des villes et des territoires dont ils convoitaient la conquête ; encore moins les seconds étaient-ils disposés à maintenir en possession celui qu’ils considéraient comme un spoliateur ; n’oublions pas que Stenay et le Clermontois avaient été arrachés à Charles IV. Le secours de Stenay fut écarté. Fuensaldaña, hésitant à lancer l’armée de son roi dans les entreprises hasardeuses, proposait les petits sièges, La Bassée ou Béthune. M. le Prince fit comprendre qu’aux opérations de ce genre on userait ses forces sans résultat. Il proposa et fit adopter le siège d’Arras, conquis depuis quatorze ans et devenu un des boulevards de la France. La place fut investie le 3 juillet.

Que de souvenirs la vue de ces lieux dut ranimer dans le cœur de Condé ! Ses premières armes de 1640, son entrée dans Arras avec les Français vainqueurs ; — la campagne de 1648, la place qui servit de pivot aux opérations couronnées par la glorieuse bataille de Lens ! — Et aujourd’hui il reparaît, conduisant l’étranger à l’assaut de ces mêmes murailles. Les événemens effacent les