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Quand Wellington avait une affaire à traiter avec un roi de peu de cervelle, il se faisait une loi de joindre la parfaite franchise à la parfaite patience. Il en use de même envers miss J.., lorsqu’elle l’inonde de ses copieuses écritures et qu’avec un zèle opiniâtre que rien ne rebute ni ne lasse, elle travaille à le soustraire à l’éternelle damnation. Le royaume du ciel était son Hanovre, elle tâchait de l’arrondir. Il répond de loin en loin, et il mêle aux propos aimables, presque affectueux, de narquoises remontrances, souvent piquantes dans leur simplicité tout unie : « Vous m’assurez que Dieu vous dirigera ; il le fera sans doute, mais il nous a donné une intelligence, la faculté de comparer et de réfléchir, de discerner ce qui est vrai et ce qui est faux, et il nous demande d’exercer notre jugement dans toutes les matières que nous sommes capables de juger… Nous différons de sentiment, vous et moi. Je pense que nous sommes responsables de nos propres affaires ; vous pensez au contraire que nous ne le sommes que de nos devoirs envers le Tout-Puissant, qui se charge de tout le reste. Sans doute je me trompe ; vous en savez sur ce point plus que moi. » Souvent aussi, il lui représente que ses nombreuses occupations, qu’elle méprise, ont pour lui beaucoup d’importance, qu’il n’admettra jamais qu’un homme perde son temps ou compromette le salut de son âme en servant son souverain et son pays. Un autre jour, avec plus de sécheresse, il s’excuse de ne pas aller la voir. Ses heures de liberté sont rares, et il les consacre à son repos. « Je suis occupé de six heures du matin à minuit. Dieu a fait de telle sorte ses créatures, que même ce noble animal qu’on appelle l’homme a besoin de se rafraîchir, de se nourrir et de se reposer comme les autres. Ne me demandez que ce que je puis vous donner sans négliger mes devoirs. Je vous rendrai visite quand je pourrai, quoique rien ne me soit plus désagréable que d’être escorté de toute une populace, comme je le suis toujours quand je vais dans le quartier que vous habitez. »

Il restera courtois, mais de plus en plus la note ironique et sèche s’accentue. Sept ou huit ans après sa première connaissance avec miss J.., sa santé avait reçu une soudaine et rude atteinte. Il n’avait plus sa belle prestance d’autrefois, il s’était subitement affaissé, sa figure s’était creusée, et il se raidissait, comme le disait un de ses amis, pour jouer le dernier acte de sa vie. Le 13 février 1840, il avait eu une grave attaque. On le croyait perdu, il se remit avec une rapidité qui étonna les médecins ; mais il avait désormais l’ouïe dure, et son humeur s’assombrit. Jusqu’alors, il était tout à tous et il aimait les commérages. Son plus grand plaisir était d’être consulté ; il apaisait les tracasseries, il étouffait les querelles. Il savait gré à ses amis de le prendre pour confident et pour arbitre dans toutes leurs petites affaires personnelles, dans leurs petites intrigues politiques, mondaines ou galantes, et il