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Au temps où l’empereur Antonin, mourant, fit porter l’image de la Fortune chez son successeur Marc-Aurèle, il y avait, dans une maison de campagne de l’Etrurie, à demi ferme, à demi villa, un enfant qui gardait encore toutes les croyances de la « religion de Numa, » et dont la petite âme semblait rendre une vie nouvelle à toutes les traditions du polythéisme romain transmises par d’indifférentes générations de sceptiques. Orphelin de son père, élevé par une mère qui observait le deuil dans toute sa rigueur, Marius acquit de bonne heure un profond sérieux, un ferme sentiment de sa responsabilité, en même temps qu’un vif penchant au rêve et à la spéculation. Il suivait avec un intérêt, recueilli les charmantes pratiques de la vieille foi nationale, qui remplissait l’univers, autour de lui, de présences sacrées. Et ainsi se passa son enfance, plus occupée à contempler qu’à agir, mais sans cesse réconfortée par d’assidus exercices corporels et par la vue d’une mer bordée de roses géantes, sous un air tout imprégné d’échos et de parfums. Dans une sorte de pèlerinage qu’il fit à un temple d’Esculape, il rencontra un jeune prêtre qui l’entretint longuement et lui conseilla de rester toujours tempéré en toutes choses, celles de l’âme et celles du corps, avec un cœur plein de paix pour le reste des hommes : à ce prix, la vie entière lui paraîtrait aussi fraîche et pure que les couleurs d’une fresque. Puis les cérémonies commencèrent. L’enfant ne se fatiguait pas de leur simple poésie, qui l’attachait encore à cette religion soucieuse de la beauté formelle.

Peu de temps après, il perdit sa mère ; La mort lui apparut, et il eut des semaines de désespoir où se mêlaient un besoin d’affection féminine, une appréhension des destinées de l’âme, mille effrois devant la vie. L’école où il fut admis, à Pise, n’aurait pas eu grande influence sur sa nature renfermée et réfléchie, sans la connaissance qu’il fit d’un jeune fils d’esclave, Flavien, et l’ardente amitié qui en résulta. Flavien était un esprit plein d’ambition et de vigueur, il prit sur l’âme plus indolente de son ami un empire absolu. Il lui fit connaître les joies de la dialectique, lui mit entre les mains le poème de Lucrèce, les pamphlets de Lucien, le Livre d’or d’Apulée. La foi enfantine de Marius s’effaçait peu à peu, ou plutôt elle se modifiait en lui, substituant à ses dogmes un cortège de gracieux symboles, pendant que la vie extérieure continuait à lui apparaître dans un harmonieux éloignement, comme une procession de blanches formes sur l’horizon bleu du ciel. Il vit mourir son jeune ami, jusqu’au bout hautain et dédaigneux, tranquille dans la certitude du néant qui l’attendait. Et une fois de plus le problème de la mort se posa devant lui.