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assis auprès d’elle dans le vieux parloir. Il lui offrit de passer sa vie loin du monde, seul avec elle. « La lumière tombait en plein sur le visage de Mary, tandis qu’elle l’écoutait, les yeux fixés sur lui. Le parfum des fleurs remplissait la chambre, dans le calme silence du soir, que troublaient seulement de lointains murmures. Ses yeux, — ses étranges yeux qui l’avaient attiré la première fois dans la chapelle, — devenaient toujours plus grands et plus doux à mesure qu’elle le considérait, chargés d’une tendre affection qu’il ne leur avait jamais vue. Quelques secondes elle ne voulut pas parler, peut-être ne put pas, car les grands yeux étaient humides de larmes. Il aurait désiré vivre toujours ainsi, sans autre pensée que la vue de ces yeux brûlans. » Enfin, elle parla : elle lui dit qu’elle l’aimait, elle aussi, mais que leurs voies dans la vie étaient différentes ; elle sentait qu’il ne s’appartenait pas, et qu’à elle non plus il n’appartiendrait jamais tout entier. Inglesant fit de son mieux pour se distraire. Il eut à Oxford une foule d’aventures mondaines ; il rentra dans Londres pour assister aux derniers momens de Laud ; il combattit à Naseby sous les yeux du roi. Mais s’il ne pouvait renoncer à l’action non plus qu’au rêve, il continuait à se sentir incapable d’y éprouver du plaisir : c’est à Gidding seulement que l’ennui le quittait. Il était à Gidding lorsqu’il reçut un message du père Saint-Clare, l’avertissant que l’heure était enfin venue pour lui de servir la cause du roi et de l’Église. Le message était mystérieux, il hésita. Allait-il renoncer au bonheur, qu’il sentait si près de lui, pour se sacrifier à une cause où il ne pouvait parvenir à s’intéresser ? Cette fois, Mary Collet elle-même lui conseilla de ne point partir : peut-être avait-elle regret d’avoir repoussé son offre, peut-être craignait-elle que le jésuite ne le forçât à une action déloyale. Pourtant, elle s’aperçut bientôt que le jeune homme était à jamais entre les mains de son ancien maître, et dut se résigner à le laisser partir. Leurs adieux furent tristes. Inglesant était tourmenté de remords, ne comprenant pas l’instinct fatal qui le faisait agir. Sur le seuil, Mary lui tendit la main, puis elle se détourna et rentra dans la maison. Elle lui parut plus semblable à un ange qu’à un être humain : pourquoi donc la vit-il s’éloigner sans un effort pour la retenir ?

La mission dont le chargea le père Saint-Clare était vraiment des plus scabreuses. Il s’agissait d’aller chercher en Irlande une armée catholique, avec une lettre du roi, mais une lettre que le roi se réservait de désavouer s’il y avait danger. Inglesant partit, ramena l’armée, et ne tarda pas à être accusé du double crime de trahison et de faux. Il garda, sous les interrogatoires les plus pressans, une attitude courageuse ; malgré les tentations les plus