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Quelque temps après son arrivée à Londres, où le jésuite l’avait lait nommer page de la reine, Inglesant eut pour la première fois l’occasion de venir à Gidding, chez le célèbre Nicolas Ferrar. Cet homme d’une piété singulière avait transformé sa maison en une sorte de libre couvent, où lui et toute sa famille partageaient leurs journées entre la contemplation et le travail charitable. Le jeune page trouva, dans cette sainte maison, un accueil qui le toucha beaucoup. Il admirait la ferveur des jeunes filles, nièces et pupilles de M. Ferrar, qui, tous les soirs, remplissaient de leurs chants la petite chapelle : « L’expression extatique de leurs beaux visages l’étonna ; mais surtout il ne pouvait détacher ses regards de l’une d’elles, qui était assise en face de lui, le capuchon un peu rejeté en arrière. Elle avait un air de résignation tranquille, avec des traits délicats, et de grands yeux très doux. » Il apprit bientôt qu’elle s’appelait Mary Collet, que ses parens étaient morts, et qu’elle s’était vouée de son plein gré à la vie religieuse ; plusieurs fois, les jours suivans, il eut occasion de l’entretenir, et d’apprécier les charmes de sa nature naïvement gaie, ignorante et insouciante de tous les plaisirs mondains. Lorsqu’il dut quitter Gidding pour rentrer à Londres, elle lui promit qu’elle ne l’oublierait pas, mais sans l’inviter à revenir, sans donner aucun signe de regret. Lui, cependant, s’en alla tout imprégné d’une joie profonde, comme s’il avait enfin trouvé la paix morale si longtemps cherchée.

Le souvenir des heureuses journées de Gidding eut même pour effet de raviver avec tant de force ses dispositions mystiques, que le jésuite dut le conduire chez le fameux Hobbes, « un homme de haute taille avec un grand front et des yeux pleins de malice, » mais qui avait une façon un peu grossière de concilier le matérialisme avec la révélation.

Pourtant, si Inglesant fut choqué du sens terre-à-terre qu’il donnait à la doctrine de Platon, il n’en fut pas moins, cette fois encore, tiré de ses rêveries : « Comment sais-je, en vérité, si cette vie divine que j’ai en moi est autre chose qu’une simple opinion, ou seulement s’il y a une vie divine ? » C’est la première fois que ce doute lui venait : il résolut de se laisser vivre, pour n’y point penser.

Devenu page de Charles Ier, il le suivit en Écosse, revint assister au procès de Strafford et fut chargé d’une mission auprès de Laud. Avant de rejoindre la cour à Oxford, où, dans l’attente des événemens, elle menait une singulière existence de fêtes et d’intrigues, il voulut aller revoir ses amis de Gidding. C’est là qu’un hobereau puritain, qui sollicitait la main de Mary Collet, l’éclaira enfin sur lui-même : il comprit qu’il aimait la jeune fille, il le lui dit,