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d’enthousiasme ; converti, il risquait de renoncer au monde de l’action, et c’en était fait de son rôle d’agent médiateur. Aussi le père Saint-Clare ne lui laissa-t-il voir de la religion romaine que sa beauté extérieure : il l’anima envers elle d’une passion tout esthétique, lui conseillant, pour le reste, de demeurer fidèle à l’église établie, comme avait fait son père.

Un an de cette éducation suffit pour mettre l’élève au point où le voulait son maître. Le jésuite se croyait désormais sur d’Inglesant, et avait même cessé de s’occuper de lui, lorsque survint un hasard qui faillit tout compromettre. Dans un petit livre mystique qui lui était tombé sous la main, le Cœur brûlant, ou la Vie de sainte Thérèse, le jeune homme trouva de tels argumens en faveur de la vie contemplative qu’il sentit renaître son aversion naturelle pour l’action et les plaisirs du monde. La crise qui suivit fut des plus douloureuses ; et comme le père Saint-Clare était retenu à Londres auprès de la reine, Inglesant résolut d’aller consulter son ancien professeur, le vicaire d’Ashley. Il le trouva retiré parmi ses livres, très las et un peu dégoûté, tout adonné désormais à ses études grecques. Il n’obtint de lui que des citations de textes anciens, et s’en retourna à Westacre plus incertain qu’il n’était venu. En route, il rencontra un gentilhomme du voisinage, qui, après s’être plaint de l’excès de zèle catholique de sa femme et de ses humeurs, lui fit l’éloge d’un vieux clergyman, sans rival pour les directions de conscience : à coup sûr, il devait être catholique dans le cœur, et si pieux qu’un ange venait le visiter pendant ses prières. Inglesant ne manqua pas d’aller chez ce clergyman : mais celui-là n’avait à lui offrir que des brochures sur des questions de rituel ; il était d’ailleurs très attaché à l’église établie, dont la hiérarchie le comblait d’admiration, et, sans nier précisément les visites de l’ange, il n’aimait pas à y insister.

Inglesant avait connu dans sa première enfance un maître d’école dont l’air doux et bon l’avait frappé. Il l’alla voir, fut très bien accueilli ; le vieillard lui expliqua la nécessité d’avoir le cœur pur, et comment l’infinie providence de Dieu se manifestait dans le moindre brin d’herbe.

Le jeune homme jugea inutile de continuer ses recherches : il se résolut désormais à garder enfermés en lui ses sentimens les plus profonds. Cependant son irrésolution restait extrême, et il fut enchanté lorsque le jésuite lui déclara qu’il était temps d’abandonner les rêves pour commencer sa vie politique. Aussi bien la situation devenait grave : contre l’église établie elle-même se dressait un ennemi terrible, le puritanisme, et c’était l’église établie et la royauté qu’il s’agissait de sauver.